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Réinventons la prospective, soyons «isoptimistes» !

Posted: 31 janvier 2015 à 8:46   /   by   /   comments (0)

D’Alvin Toffler à Francis Fukuyama, de John Naisbitt à Jeremy Rifkin, les gourous de la prédiction se distingueraient les uns des autres par une multitude de visions prospectives. Une relecture attentive de cette prose, depuis plus de trente ans, révèle pourtant une étonnante continuité ; celle d’un couple de forces binaires à la fois totalement antinomiques mais, pourtant, parfaitement ajustées. D’un côté, les positivistes aux écosystèmes vertueux. De l’autre, les tenants de l’apocalypse, surfant sur nos peurs millénaires. Sur des bases autres que celles de l’exacerbation d’une alternative simpliste entre le Bien et le Mal, est venu le temps de réinventer la prospective. Ni optimistes, ni pessimistes, soyons « isoptimistes » ! (du mot grec « isos », qui signifie égal)

Publié par www.hbrfrance.fr – Harvard Business Review France :

http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/11/5182-reinventons-la-prospective-soyons-isoptimistes/

Entre la perspective d’une croissance zéro vantée ou honnie, un avenir énergétique obscur ou alternatif, une population mondiale affamée ou correctement nourrie, des inégalités sociales croissantes ou limitées, des conflits localisés ou généralisés, des technologies étouffantes ou libératoires, qui a raison, qui a tort ? Toffler, Fukuyama, Naisbitt, Rifkin, Illitch, Castoriadis, Sauvy, ou… les Adventistes du 7ème jour ? Les gourous de la prédiction restent-ils aujourd’hui crédibles ?

Deux clans qui s’opposent en apparence mais se renvoient la balle en permanence

En réalité, les prédictions, prophéties, cris d’alarme, analyses statistiques, « cartes du futur » et autres « megatrends » jouent tous sur les mêmes composantes. Celles-ci sont réparties en deux clans, que tout oppose, mais qui, au fond, se nichent côte-à-côte au cœur de chacun de nos cerveaux reptiliens, dans la mémoire collective de chaque peuple, dans les rêves et les cauchemars de chacune de nos nuits :

– L’« optimisme » (mot d’origine latine, superlatif du Bien : « le meilleur »)

– Le « pessimisme » (mot d’origine latine, superlatif du Mal : « le pire »)

Paradis ou apocalypse ? La futurologie a longtemps ressemblé à un club (fermé) de joueurs d’échecs. Mais sur l’échiquier de la vie, ces deux clans, issus du même monde, se mélangent et tournent en rond. Quel que soit leur bord, les penseurs se renvoient la balle en permanence, qu’ils soient novateurs, évolutionnistes accrochés à l’intelligence de l’être humain, alimentés par la multiplicité des sources d’information, confiants dans le Big data, centrés sur la naissance et la diffusion d’écosystèmes adaptatifs, engagés dans de nouvelles dynamiques collectives, de nouveaux partenariats avec leurs parties prenantes, ou qu’ils soient au contraire des prévisionnistes de l’insécurité, de la fragilité intrinsèque des systèmes, des fractures sociales, des ruptures en chaîne, des effets dominos, individualistes, fatalistes de la cupidité, amateurs de crise et d’un Darwinisme insensible, voyant renaître dans l’être humain placé devant la difficulté les réflexes de l’animal blessé, égoïste, irrespectueux des valeurs collectives, cherchant à sauver sa peau.

Dépassons les images simplistes

La logique d’opposition frontale n’est plus de mise entre les apôtres d’une béatitude dont la foi progressiste ne constitue plus que l’unique armure, et les « va t’en guerre » friands d’un spectacle planétaire autodestructif. Ces deux camps ne représentent aujourd’hui que les deux lobes d’une seule réalité, complexe. Comme Yin et Yang, ils ne s’opposent plus, mais se complètent dans une dialectique et une énergie féconde. Et ce, via deux forces qui surnagent dans le maelström ambiant.

1. La source de l’action, et son corollaire, l’expérience humaine

Défaite des idéologies utopistes, dogmes bousculés par l’accélération du monde et pragmatisme généralisé, demandes et recherches inlassables de preuves… les décalages flagrants entre les discours et les actes ne passent plus ! Les prospectivistes perdent en élan « fumeux » ce qu’ils gagnent en faisabilité, en réalisme, en action sur le terrain  Les scénarios du futur relèvent davantage d’une pâte à modeler liée au passage à l’acte (comme une eau à orienter, à canaliser, à transformer en électricité).

2. La source de l’ouverture et le respect des autres (et donc… de soi)

Face à la contextualisation généralisée des circonstances qui s’impose aujourd’hui à toute structure, il est impossible pour une organisation, une société, un Etat, une nation de penser son avenir en espace clos, imperméable à ce qui l’entoure. La porosité du monde se généralise. D’où le déboulonnage de toutes les statues modélisatrices, entrepreneuriales, politiques ou économiques. A quoi bon copier tel ou tel success story, puisque aucun écosystème ne ressemble à un autre et que tout va beaucoup trop vite ?

Deux leviers concrets pour réhabiliter la prospective 

Voici une feuille de route pour pour sortir de la dichotomie qui caractérise nos prévisions:

1. Echapper à un monde algorithmique totalitaire, afin de privilégier une économie des usages…

– Qui inclut l’aléa dans ses projets de transformation.

– Qui intègre les différences culturelles et les distances historiques et géographiques afin d’éviter malentendus dans la mise en œuvre de ses plans d’action.

– Qui privilégie les logiques accumulatives de l’expérimentation aux risques du pari stratégique « hors sol ».

– Qui n’échappe pas à une forme de théâtralisation de la réalité, un second degré dont une forme de légèreté dédramatisée.

2. Echapper à un monde répétitif, pour privilégier une économie créative…

– Qui redonne toute sa place à la « beauté » des objets et des services et ses corollaires : l’intégrité, l’éclat, l’harmonie.

– Qui se tourne délibérément vers l’innovation et ses stratégies partenariales.

– Qui définit de nouvelles règles de base afin de rendre la vie et les échange en « communauté » plus souples, moins stressants (loyauté, solidarité, gratuité), plus adaptatifs : « RSE, Développement durable ».

– Qui donne la priorité à la réactivité, rançon de l’instantanéité du monde.

La futurologie vaincra enfin nos peurs ancestrales, ne cédera plus aux tentations cupides et retrouvera une audience lorsqu’elle aura atteint son point d’équilibre entre pessimisme et optimisme, cet « isoptimisme » apporteur de souffle et de sérénité. Loin des modèles, plus proche des contingences. Sur les traces de Gaston Bachelard, qui disait : « Je ne veux ni ne rejette rien absolument, mais je consulte toujours les circonstances ».

Nicolas Rousseaux

Lien : http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/11/5182-reinventons-la-prospective-soyons-isoptimistes/

Photo : © Nicolas Rousseaux

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