Chroniques
« Silicon Beach » contre « Silicon Valley » (I)
Et si… la Silicon Valley s’était plantée. Scotchés, les gratte ciels de Manhattan ! A la surprise générale, les futurs tremplins de la croissance américaine déménagent.
L’Hyperloop va naître à L.A. :
1.080 km/heure
Le vent tourne et la boussole américaine perd la boule. Que se passe-t-il ? San Francisco trop chère, débordée par ses SDF, ne génère plus la même dynamique « idée géniale + fonds à risques » qui enflamme l’économie de l’innovation. Le nombre d’IPO est en baisse et les Unicornes font inlassablement la tournée des popotes pour leur troisième ou quatrième tour de table. Certes, ce pôle d’attractivité n’a pas dit son dernier mot. Il suffit d’assister à la danse du ventre des constructeurs automobiles du monde entier dans la vallée.
Le « rôle social » des industriels de la Silicon Valley fait doucement rigoler les geeks de Mountain View ou de Cupertino
En septembre dernier, sept semaines durant, les cinq valeurs les mieux valorisées du New York Stock Exchange avaient leur siège sur la côte ouest : Apple, Alphabet, Microsoft, Amazon et Facebook. Historique ! L’arrivée des machines intelligentes déjoue les pronostics les plus pessimistes d’une nouvelle bulle.
Les critiques se portent aujourd’hui davantage sur l‘effet déflationniste de cette dynamique. Ford emploie 1.427 employés par milliard d’US $ de CA, alors qu’Alphabet (maison-mère de Google) ne génère que 962 jobs pour un montant similaire de CA. Inutile de préciser que le « rôle social » des industriels de la Silicon Valley fait doucement rigoler les geeks de Mountain View ou de Cupertino, les yeux rivés sur les leurs stocks options. D’où la dernière réunion houleuse à New York des grands maitres de la High Tech américaine avec le Président Trump, pourtant candidat préféré des PDG californiens, avant l’élection, mais élu par cette classe moyenne américaine tétanisée car en voie de déclassement social dur causée par la technologie envahissante.
L’Apple Store emblématique qui trônait devant l’Hôtel Plaza a réduit sa voilure transparente
New York, symbolise les effets de ce cycle (peu vertueux), vrai coup de bambou sur l’économie réelle (« brick & mortar »). La voilà assommée par le tsunami de l’e.commerce. Dans les ex-quartiers branchés, autour de Midtown, plus de 20 % des fonds de commerce sont à louer, même tendance au sud de la ville, sur Broadway ou Canal Street (« Huissier, faites entrer l’accusé : Amazon.com »).
Times Square se transforme en une sorte de Moulin Rouge pour cars de touristes groggys. La Cinquième avenue devient l’ombre d’elle-même, la réplique grotesque d’une Disney Parade pour estivants en mal de clichés bon marché ; la légendaire boutique Cartier se retrouve ainsi avec un nouveau
voisin : H & M (cherchez l’erreur). Bottega Veneta se replie sur Madison avenue en diminuant sa surface de vente. Ralph Lauren, Marc Jacobs déménagent eux aussi. Face à Central Park, l’Apple Store emblématique qui trônait devant l’Hôtel Plaza a réduit sa voilure transparente et s’est replié sur le terrain laissé libre par le géant du jouet de luxe, FAO Schwartz, en mal de liquidités. Jeff Koons a pris possession du Rockefeller Center, via la géante statue gonflable d’une ballerine (!), de quoi amplifier la vulgarité naissante de ce quartier en voie de globalisation aseptisée. Même les quartiers huppés de l’Upper east side et de l’Upper west side ont perdu l’esprit innovant, « trendy » d’avant-hier. Plus résidentiels que jamais, ils vieillissent et se « suburbanisent » en se coupant du cœur de la Grosse Pomme.
Un m² plus accessible, un esprit multiculturel ouvert et pacifié
De l’autre côté du continent, schéma inverse, Los Angeles se développe deux fois plus vite aujourd’hui (+ 26 % depuis 1990) que sa voisine « Frisco » (+ 19 % dans le même laps de temps) et porte la croissance californienne vers les sommets. En 2016, avec 40 millions d’habitants, le PIB de cet Etat a dépassé celui de la France (67 millions d’habitants).
Avec un m² plus accessible, un esprit multi culturel ouvert et pacifié (il faut voir le Little Bengla Desh Quarter planté au milieu de l’immense Korea Town, en plein centre de la mégapole), de puissantes industries de productions de contenus (audiovisuel, design, fusion food, architecture, campus universitaires,…). A l’inverse de l’aspect obsessionnellement focalisé sur l’électronique (un culte quasi uniforme, presque gimmick) que l’on constate de plus en plus fréquemment dans les incubateurs de la Silicon Valley (le « quanti » et son Big Data omniprésent enfonce l’analyse « quali » d’un phénomène de consommation ou de comportement).
4.000 conducteurs d’Uber ont été recensés sans domicile fixe. Ils dorment dans leur voiture
Par contre, dans la continuité du succès de Snapchat, du côté de Santa Monica, une « Silicon Beach » émerge. Génération spontanée, le tout baignant dans un esprit (cool, easy, fun, surfin’ USA, organic,…) diamétralement opposée à celui de Frisco, aux mains des financiers, des ingénieurs et de la CIA.
Le meilleur exemple de ce contraste marqué est la percée de Lyft, le concurrent majeur d’Uber aux Etats-Unis. A Los Angeles, Lyft est en hausse de 24 % sur l’année 2016, contre une baisse de 8 % pour Uber. Après avoir littéralement éliminé le métier de taxi à Los Angeles, Uber se retrouve confronté avec des campagnes qui dénoncent son sexisme, son business model. A L.A. même, 4.000 conducteurs d’Uber ont été recensé sans domicile fixe. Ils dorment dans leur voiture, ce qui les empêche de prendre les clients, avec leurs « grosses » valises pour les aéroports de la cité. Tout ce qui appartient au driver se trouve en effet dans le coffre de sa « maison ».
Autre signal, encore faible, de l’avance que prend Los Angeles sur le futur. La stagnation de l’utilisation de Facebook ! Malgré l’ouverture fort médiatisée, l’été dernier, d’un siège de 250.000 m² entre Santa Monica et le Los Angeles International Airport (coût du loyer estimé à 1,5 million d’US $), l’influence du réseau social ne touche plus les mêmes générations, ni les mêmes niches. Les trentenaires passent plus de temps sur de nouvelles applications comme Venmo, un réseau social organisé autour d’un « free digital wallet », plus simple que Paypal, qui permet de payer, de rembourser, d’avancer de petites sommes entre amis. Instagram également prend des parts de marché à Facebook, via son service de vidéo éphémère (« Stories« ), accessible pour une durée limitée à 24 heures.
Relier le centre de New York à celui de Washington DC en 29 minutes, à la vitesse de 1.080 km/heure, dans un tube sous vide enterré
C’est à Los Angeles qu’Elon Musk (Tesla, Space X) a installé les 280 chercheurs de son laboratoire Hyperloop One, le train électromagnétique le plus rapide du monde. Fin juillet, il vient lui-même d’annoncer par tweet, un accord gouvernemental pour relier le centre de New York à celui de Washington DC en 29 minutes, sous terre dans un tube sous vide, à la vitesse de 1.080 km/heure, via Philadelphie et Baltimore. Contre 5 heures en voiture aujourd’hui, 2h45 en train et 1h15 en avion. Une demi-heure, c’est le temps qu’il faut à un banlieusard new yorkais pour traverser l’île de Manhattan dans un métro brinquebalant… dont le réseau est reconnu comme en état de faillite avancé. Les dernières rumeurs annoncent la fermeture de plusieurs lignes.
Avec au nord de Los Angeles, l’attractivité démesurée du campus de l’UCLA (100.000 personnes y travaillent) et au sud, l’USC (puis encore plus au sud, la San Diego University), Los Angeles draine les futurs talents du monde entier, à commencer par ceux de la zone Pacifique, nouvelle Méditerranée du XXI° siècle.
Un vestige improbable surgit du passé
Au milieu de cette masse étale de 17 millions d’êtres humains (contre moins d’un million à San Francisco, intra-muros), cosmopolites par nécessité, regroupées autour de 171 municipalités, sur 90.000 km², un vestige improbable surgit du passé. A moins que ce soit le signe intemporel d’une post modernité hyper adaptative, assumée.
Chaque soir, à la tombée de la nuit, descendent en silence des hautes collines que la ville a contourné mais préservé (parc régional oblige), des dizaines de coyotes et de pumas. Ceux-ci ne s’arrêtent plus aux frontières invisibles du territoire des hommes et du feu. Ils ont vaincu la peur. Eux aussi se sont domestiqués, eux aussi se sont découverts cosmo politisés.
Impression dantesque de voir cette intrication de la sauvagerie en totale liberté dans les méandres de ces milliers de rues incontrôlables, sur les trottoirs, dans les arrières cours, entre deux voitures. Leurs cibles premières ? Les chiens et les chats qui trainent. Comme les Grizzli en Alaska, elles fouillent les poubelles. Puis rassasiées, elles remontent dans leurs tanières, avant que le jour ne se lève sur Sunset Boulevard.
Curieusement, peu de croisés de la civilisation manifestent leur dégout pour cette mixité étrange. Pas de battues, pas de chasses, pas de surveillance excessive. Comme si les âmes des tribus indiennes, les Pomos, les Maidus, les Chumashs, qui vivaient ici autrefois, nous avaient laissé un message impénétrable : « laissez les bêtes en paix, ce sont les messagers du créateur ».
Sans se le dire, à Los Angeles, chacun sent, au plus profond de soi, que la nuit où ni les coyotes, ni les pumas ne descendront de leur éminence, ce sera l’heure où la terre tremblera, s’ouvrira et détruira ce que l’homme aura construit.
(à suivre)
Par Nicolas Rousseaux, envoyé spécial
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