Chroniques

L’entreprise, terrain de jeux idéal

Posted: 17 avril 2017 à 11:50   /   by   /   comments (0)

Et si… le jeu retrouvait ses lettres de noblesse utiles. Autrefois, dans les séminaires, combien d’entre nous, bon gré, mal gré, eurent à subir les « jeux de rôles » alors systématiques (« toi, on va dire que t’es le client ! Hein ! »). Puis, dans les années 2000, nous avons vu passer le train des « Serious Games », dans le genre : « le jeu n’est pas qu’un amusement futile » comme taper le carton, jouer au quinté ou se faire une partie de Monopoly). Aujourd’hui, place à la « Gamification » (ludification, en français) florissant en particulier dans les sites web, les situations d’apprentissage, les réseaux sociaux.

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Come-back du ludique dans les organisations

Existe-t-il vraiment un lien entre la mécanique du jeu et celle de la motivation ? Est-ce vraiment crédible d’utiliser le jeu comme levier d’action, force de conviction, déploiement d’une envie, d’une attention, d’un plaisir ?

D’où vient le jeu ?

De très loin. Du fond de leurs cavernes, les premiers hommes prirent des petits os dans leurs mains, et commencèrent à jongler avec eux. Les « osselets » étaient nés, premier jeu de l’humanité, avant les dés qui suivront (au début de forme binaire, style « pile ou face » : avec un 1 et un 0, gravés sur un coquillage).

Séparation immédiate avec le monde réel

A quel ressort humain s’apparente le jeu ? Son immense intérêt se trouve dans la séparation immédiate qu’il introduit avec le monde réel. Dès que l’on entre dans un stade, dès que l’on se concentre sur son écran vidéo, ou que l’on s’amuse à chat perché, notre corps quitte un univers pour entrer dans un autre, régi, en conscience, par d’autres règles. Gare à celui qui brise cette barrière, cet enchantement.

Roger Caillois (*) explique que l’être humain a développé le sens du jeu dans quatre dimensions, fort différentes les unes des autres :

–        En acceptant une compétition intellectuelle ou musculaire : duel fictif entre deux individus ou deux équipes. Le jeu de Dame, les échecs, le billard font partie de cette famille. Le jeu permet alors de célébrer l’excellence, la prouesse, le défi. Logique du champion, de sa responsabilité personnelle.

–        En donnant libre cours au destin : l’aléa. Le vainqueur reçoit une aura, signe que le sort lui est favorable. « Il a de la veine ! » s’exclamera-t-on. Un avantage, l’égalité des chances pour tous les joueurs sur la ligne de départ, face au verdict aveugle. Mais, à l’inverse du combat, ici, nul besoin du travail, d’habileté ou de patience. Le jeu alors provoque une dérive proche d’une démission de la volonté, d’un abandon au hasard.

–        En se donnant le visage d’un autre : on joue alors un personnage illusoire (le client ?), muni du masque ou d’un déguisement. Tout comme l’enfant imite l’adulte. Imaginaire et interprétatif, ce jeu-là peut révéler la véritable personnalité du joueur/acteur.

–        En flirtant avec le vertige : le funambule joue avec la vie, l’acrobate avec ses réflexes, comme dans un toboggan infini. Glissade, étourdissement, projection, accélération,… c’est le royaume des manèges. Symbole le plus élémentaire : la balançoire. Excitation, ivresse, désarroi… le jeu tourbillonne et apporte de la jouissance (cf. le saut à l’élastique, autre toquade des séminaires d’antan, parfois même sans que la liberté de sauter ou de ne pas sauter soit respectée).

Dans une économie complexe où rien n’est clair, cela fait du bien d’accepter le « lâcher prise » de temps à autres, de se laisser emporter par le trouble que provoquent la chance ou le mérite. Dans ces temps d’urgences interminables, voilà enfin des libertés d’improvisation, de (trop) rares allégresses, des moments de vraies détentes collectives. Jouer, c’est autoriser la suspension du réel.

Fécond et décisif

Le jeu stimule l’ingéniosité, le raffinement, l’invention. Il donne la priorité aux aptitudes plutôt qu’aux recettes toutes faites. Il enseigne la loyauté, il fait échec à la monotonie et à l’aveuglement. Jouer, c’est aussi créer des instruments de culture féconds et décisifs. Le jeu participe, comme le souligne Caillois « à la construction d’un ordre, à concevoir une économie, à établir une équité ».

La gamification constituerait donc un moyen idéal pour renforcer la motivation, sans faire appel à un afflux de pressions externes, mais grâce à l’intérêt et au plaisir que l’individu trouvera dans une action ludique autorisée et régulée. Action pas seulement « gratuite » (sans arrière-pensées) mais également pourvue d’un potentiel de créativité intrinsèque fort.

Les algorithmes, qui jouent, jour et nuit, aux osselets avec nos datas, ne remplaceront pas l’expérience physique, sensible, émotionnelle du joueur face à l’ « en-jeu ». Moteur décompressé de nos vies personnelles et professionnelles, saluons le jeu et méditons cette sage pensée de Louis XIV : « c’est toujours l’impatience de gagner qui fait perdre ». 

NR

 

En écho à cette chronique, deux recommandations de lecture :

photo1

“Les jeux et les hommes »

de Roger Caillois

Ed. Gallimard, Paris, 1958

 

 

 

Image 2

“Homo ludens”

de Johan Huizinga

Ed. Gallimard, 1951

 

 

 

Photos : © Nicolas Rousseaux

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