Best of Books

Vive l’incertain !

Posted: 22 mai 2016 à 11:11   /   by   /   comments (0)

Et si… l’incertain était une force. L’art militaire nous l’enseigne de manière explicite. Pour le dirigeant qui tolèrera, intégrera et utilisera l’incertitude, la réussite reste possible.

L’arme de la volonté contre la violence de la surprise

« Souvent invraisemblable, née de causes insaisissables ou inexplicables », comme l’écrivait le Maréchal Foch il y a cent ans, l’incertitude a beau avoir changé de forme, elle n’en reste pas moins étendue et persiste à nous défier sur notre capacité à l’adaptation et à la flexibilité. Chaque jour qui passe, volatilité et ambiguïté la renforcent.

« Brouillard de l’incertitude : à la guerre, tout est incertain dès que les opérations ont commencé, à l’exception de ce que le chef porte en lui de volonté et d’énergie. Aucun calcul d’espace et de temps ne garantit la victoire dans le royaume du hasard, de l’erreur et des déconvenues ; l’incertitude et le risque d’échec accompagnent chaque pas vers l’objectif » dixit Helmuth von Moltke, le vainqueur de Sedan.

Davantage d’informations et de précisions ne réduisent pas la présence de l’incertain. Si celui-ci peut disparaitre du raisonnement pur, il ne quitte pas la réalité, au contraire. Définie comme le « Royaume de l’incertitude* », nous prendrons donc la guerre, à travers les siècles et les cultures, comme terrain d’exploration et de compréhension de l’incertitude.

Comment mieux prévoir l’incertitude, peut-on arriver à l’intégrer dans sa stratégie, à la piloter, à en faire même un atout ?

Comment réduire l’imprévisible ? Par la force écrasante du tapis de bombe, de Verdun au Viêt-Nam, de la Ruhr à Tokyo ? Comment mettre le scalpel du hasard dans sa poche ? Que valent tous les drones de la Terre et leur trésor technologique face à la détermination d’un peuple disséminé ? La qualité croissante du renseignement était censée combler notre désarroi face à des ennemi de plus en plus aléatoires. Malheureusement, ni les satellites, ni les caméras infra rouge, ni l’intelligence artificielle ne savent prévoir la surprise. « Le fait élémentaire de l’histoire est l’autonomie, physiologique et mentale, de l’homme ** ». Si les combattants ne cessent jamais d’être des hommes et des femmes, si le succès relève in fine du psychologique, l’aléatoire devient la règle de l’événement historique.

Pour le dirigeant qui tolèrera, intégrera et utilisera l’incertitude, la réussite reste possible.

Trois vecteurs de l’incertain :

  • Le brouillard : « A la guerre, beaucoup de renseignements sont contradictoires, davantage encore sont faux et la majorité sont incertains»* . Ce brouillard est une donnée irréductible, consubstantielle, mais qui peut être compensé par une démarche intérieure de réflexion, basée sur : l’intuition, l’appréciation l’extrapolation subjectives des faits connus.
  • La friction : Mentaux ou matériels, produits par sa propre organisation ou imposé par l’environnement extérieur, nombreux sont les facteurs de frottements imprévisibles et aléatoires : les pulsions de l’être humain (la peur et ses effets), les menus incidents en grands nombres, qui au final diminuent le niveau général d’efficacité. Charles de Gaulle encore : « c’est finalement l’instinct de situation que l’homme perçoit à travers la réalité des conditions qui l’entourent et qu’il éprouve l’impulsion correspondante »
  • Le hasard : L’incapacité à prévoir la multiplicité des combinaisons des différentes variables laisse une part importante au hasard; Ainsi nait le désordre,… et la chance. Les effets du hasard s’accroissent de l’effet de non-proportionnalité : des événements mineurs, des actions individuelles ponctuelles. Ce qui exerce une influence imprévisible. Napoléon résume : « le hasard demeure un mystère pour les esprits médiocres mais devient réalité pour les hommes supérieurs ».

 

Diminuer l’incertitude : inadaptabilité de la planification

Les 6 et 7 septembre 1914, devant le risque d’encerclement, les taxis de Paris sont réquisitionnés par Joseph Joffre, afin de renforcer les positions sur la Marne. Il reprend les thèses napoléoniennes : « Plus grande est l’incertitude, plus je fais confiance à l’aptitude de mes maréchaux pour analyser et agir. » A l’inverse, sur le champ de bataille, où la part d’incertitude se réduit, l’empereur domine, et reprend un commandement directif pour construire dans son propre cerveau la cohérence de l’action de ses subordonnés. Averti de l’arrivée des taxis, Foch décide de jouer la surprise : « Ma droite est enfoncée ; ma gauche cède ; tout va bien, j’attaque »

Gérer l’incertitude : capacité d’adaptation

i. Souplesse des modes d’action et des dispositifs : à l’action planifié succède vite la réaction, la capacité d’adaptation fait la différence. Le problème consiste donc à prévoir les contre réactions. Napoléon : « je n’ai jamais eu de plan d’opération. J’ai un plan de guerre, mon but final. Mais je marche en fixant au fur et à mesure des circonstances les moyens d’approcher et d’atteindre ce but »

ii. Les réserves : pour prévenir le hasard, il faut disposer de réserves contraléatoires. Le deuxième rôle des réserves est de l’ordre du proactif

iii. La simplicité comme principe : règle d’or du corps des Marines américains (KISS : Keep It Simply Stupid). Simplicité des organisations et des ordres

iv. La polyvalence comme objectif : la « versatilité » apparait de plus en plus prisée dans les unités modernes

v. Un style de commandement favorisant l’initiative : ne pas tout prescrire, commander n’est pas contrôler. Le commandement indirect (par le sens de la mission, par l’esprit, par la liberté d’action) prédomine sur le commandement direct. Le Général Patton : « dites leur quoi faire, mais ne leur dite pas comment, ils vous surprendront par leur génie ».

Utiliser l’incertitude : culture de l’expectative

i. Epaissir le brouillard afin d’en faire un écran protecteur. Sun Tzu : « Vos plans doivent rester impénétrables », « l’art de la guerre est l’art de duper »

ii. Développer l’expectative adverse. Frédéric II le Grand : «  c’est ce à quoi l’ennemi s’attend le moins qui réussira le mieux ». Napoléon : « la surprise est un élément fondamental de la doctrine française. Pour pouvoir agir sans que l’ennemi vous en empêche, il faut le tromper sur le potentiel, le moral, la position, les intentions amies. »

iii. Diminuer la capacité adverse de réduction de l’incertitude et de réaction. Détruire les moyens de renseignement, de transmission et de diffusion de l’adversaire. Le priver de ses yeux et de ses oreilles. Détruire les routes d’accès à ses réserves.

Nicolas Rousseaux

(*) Clausewitz, (**) Pierre Vendryes

Ce texte est extrait de la collection « Best of Books », synthèses d’ouvrages (français et étrangers, pour la plupart non encore traduits en français) développées et conçues sur mesure.

Collection lancée par le cabinet Mediation (catalogue et formules d’abonnement sur demande). Renseignements : 01 45 63 67 67

 

desportes-decider-incertitude-ii-z

« Décider dans l’incertitude »

par le général Vincent Desportes

ed. Economica, Paris, 2004

Comments (0)

write a comment

Comment
Name E-mail Website