Chroniques

Le piège asymétrique

Posted: 15 novembre 2015 à 7:20   /   by   /   comments (1)

Et si…  les élus et les hauts gradés de la grande muette sortaient enfin de leurs faux semblants. De quand date la dernière victoire de l’armée française ? Des taxis de la Marne ? De Verdun ?… 715.000 morts en dix mois (100 toutes les 60 minutes). Une telle victoire aurait de quoi effectivement occulter toutes les autres, celles d’hier et de demain… La France ! A la poursuite d’une grandeur de plus en plus floutée, mais toujours en retard d’une guerre. Le 13 novembre 2015 n’échappe malheureusement pas à cette pesante névrose.


L’armée française sans tactique, ni politique

Depuis un siècle, la somme des humiliations subies par l’armée française fait froid dans le dos : Campagne de France, 1940 ; Diên Biên Phu, 1954 ; Algérie, 1962 ; Kosovo, 1990 ; Rwanda, 1994,…

Que pèsent ces victoires d’opérettes, Bir-Hakeim (3.700 hommes engagés), l’opération Daguet (1ère Guerre du Golfe, 1991 – 4 jours de combats dans un désert déserté) ou encore l’opération libyenne tellement médiatisée (considérant le chaos total qui l’a suivi) face à une accumulation navrante d’erreurs stratégiques répétées et si décalées de la réalité :

  • Ligne Maginot : contournée par la guerre de mouvement et les panzers de Guderian.
  • Sous-marins nucléaires lanceurs d’engins : 4,5 milliards d’euros pièce, pour quel usage, finalement ?
  • Porte-avion Charles de Gaulle : quelle valeur ajoutée opérationnelle ? Annoncé inutilisable de 2016 à 2018, 1,7 milliards d’euros de réparations et de peintures…
  • Rafale : faute d’acheteurs à l’export, un programme de 43 milliards d’euros à la charge des contribuables.
  • Leclerc : le char le plus sophistiqué et le plus cher du monde,… invendable.
  • Véhicules de reconnaissance : en Afghanistan l’armée française était la seule de la coalition à ne pas être équipée de véhicules anti mines et de mortiers mobiles à guidage laser.

Si Napoléon construisait ses victoires dans les rêves de ses soldats, la France de nos jours prépare méthodiquement ses défaites dans les chimères de ses ingénieurs de l’armement et de ses officiers « hors sol ».

Heureusement, les missiles Milan, les navires Mistral, les hélicoptères Puma et la Légion sauvent la face tricolore. Dans le défilé-vitrine du 14 juillet, tout n’est pas noir,… sauf le drapeau de l’Etat Islamique.

Pour la première fois depuis l’URSS (L’Union Soviétique finançait, par KGB ou Cuba interposé, les réseaux écologistes allemands, les mouvements pour la paix ou même des forces d’extrême droite, avec pour seul objectif d’alimenter la déstabilisation de l’adversaire OTAN), un état ouvertement terroriste, richissime (la manne pétrolière : 20 % de l’essence achetée en Grèce tombe directement dans l’escarcelle de l’EI), déclenche des abcès de violence pure partout dans le monde.

Ne serait-ce que dans les six jours qui ont suivi les massacres parisiens :

  • En Syrie occupée, deux otages, un Chinois et un Norvégien, ont été exécutés.
  • Au Nigéria, trois suicides successifs, dont deux commis par de jeunes filles (l’une des kamikazes étant âgée de 10 ans) ont tué 47 personnes.
  • Sur internet a été exposée une bombe cachée dans une canette de Coca pour preuve de l’attentat du 31 octobre contre l’avion russe au-dessus du Sinaï (224 morts).

Tous ces actes sont signés EI. On se souvient alors du « Je suis partout » d’avant-guerre, de triste mémoire (journal violemment antisémite) ! Objectif identique pour Daech : provoquer la surprise, déchaîner la peur, alimenter la haine entre religions et civilisations, sur tous les continents à la fois.

La fin des sanctuaires

Egorgement de sang-froid, décapitation télévisée… les mises en scène sont soigneusement étudiées. Les lieux sont choisis. Les combattants y croient.

Tandis que 10 fanatiques mettent en état de comas total, en une soirée, une des plus symboliques capitales du monde (un nouveau 11 septembre) que sont allés faire les 200.000 soldats envoyés en Afghanistan ? Dans la terminologie militaire, ce type de comparaison paradoxale a un nom : la guerre asymétrique. Dès lors, le globe devient un champ de bataille à lui seul, un « espace opérationnel » géant ou la violence prend le pas sur le combat.

En forme de rétorsion à une émotion énorme, le président François Hollande envoie ses Mirages bombarder quelques villages tenus par l’EI, sans que qui que ce soit nous disent le résultat, les effets ou l’efficacité même de cette contrattaque. La France répond au moustique mortel par un coup de marteau sans visage dans le vide du désert.

Pourtant, des nombreuses solutions existent afin de combler le vide de dessein à long terme et l’action réduite au coup par coup, purement réactive :

  • La relance d’une réflexion politique de fond sur le passé et l’avenir du Proche-Orient et du Moyen-Orient, et la place réelle de la France dans ce concert de nations (quel rôle jouer entre sunnites et chiites, quelles nouvelles frontières, quelle place pour les Chrétiens d’Orient, quel type de coopération, de quelles civilisations parle-t-on ?)
  • Le travail d’anticipation géostratégique sur l’espace et le temps (la mémoire collective) des deux côtés de la Méditerranée (à la manière d’un Amin Maalouf sur le regard des arabes pendant les croisades).
  • Le décodage culturel profond et biface pour tous, des enfants aux adultes (à partir d’une histoire des chronologies et des mentalités) sur le rôle de l’Occident dans cette partie du monde depuis des siècles (du 3 janvier 1916, à Aramco, en passant par « Tempête du Désert », Dubaï, la coupe du monde de Football au Qatar et les « sept piliers de la sagesse ») et sur le rôle des arabes en Occident (le zéro, Averroès, les 1.000 et une nuits, le monothéisme, le croissant fertile, le pétrole, etc…).
  • Une compréhension psychologique des distances, des corps, des valeurs, de l’éducation, du contact, de la croyance, des nourritures, de l’art, de l’expression littéraire, du couple dans les deux civilisations (à la manière du Edward T. Hall dans ses ouvrages sur les dimensions invisibles).
  • L’ouverture de multiples espaces de dialogue physique et numérique : forum, débats autour du thème de l’altérité.
  • Des circuits d’échanges d’informations organisés, volontaristes, relayés par des supports écrits, des séminaires (courts mais réguliers) entre universitaires, chefs d’entreprise, hauts fonctionnaires, artistes et intellectuels mélangés,…
  • Des programmes de partage de connaissance pour les jeunes sur le mode Erasmus avec les grandes universités et grandes écoles,
  • Des cycles de sélections et de visites croisées pour de futurs « Young Leaders » sur le modèle des fondations franco-américaines ou franco-chinoises.
  • Etc.

Le concept de guerre asymétrique a vu le jour au milieu des années 90 ! Que n’a-t-on préparé notre pays à affronter ce défi ô combien prévisible, les newyorkais en savent quelques chose ! Imbrication des forces de police et des armées, renforcement du renseignement et de l’analyse des sources sur place, mise en place de plans d’urgence hospitalière, croisement des systèmes d’information, création d’algorithmes triangulaires, maîtrise des effets médiatiques… qu’avez-vous fait Messieurs Sarkozy et Hollande pendant toutes ces années ? Elus du peuple et chefs des armées, vous êtes irresponsables devant votre pays. La France entre nue dans cette nouvelle ère du conflit permanent.

A Paris, quand ils le décident, les terroristes de l’EI disposent sur place des trois ingrédients nécessaires à l‘impact émotionnel maximum pour un engagement matériel et humain minimum. Historiquement, Paris, ville sainte de la laïcité, est devenue « la » capitale arabo musulmane en Europe. De ce fait, elle apparait comme le centre de gravité de toute opération, clef de voute de l’édifice stratégique pour son adversaire déclaré. Le point décisif c’est le Stade de France, un soir de grand match. Le point névralgique, c’est la salle de concert et les terrasses des cafés, lieux de la civilité à la française. Les officiers de Daech ont manifestement lu Clausewitz et l’appliquent sur le bout des doigts. Et vous M.Hollande ? Et vous M. Valls ?

Une intifada en plein Paris

Monsieur Valls, vous êtes Premier Ministre et vous voilà en train d’agiter le chiffon rouge de la menace bactériologique en pleine chambre des Députés. Non seulement vous faites le gros malin avec vos Mirages qui ne servent à rien en terme de riposte, mais, en plus, vous déclenchez vous-même une vague d’angoisse supplémentaire dans une population que vous avez pris le soin de ne pas préparer au monde de demain. Y êtes-vous d’ailleurs prêt vous-mêmes ? Allez, un petit effort et vous nous annoncerez bientôt la cyber attaque terroriste.

Non conventionnelle, fondée sur la surprise et le contournement, sur la manipulation des médias, la guerre asymétrique ou guerre de l’information, nécessite d’autres formes de pensée et d’action que ce qu’on apprend dans les grandes écoles. On ne répond pas à la menace imprévue, irrationnelle, par un surplus de matériel. L’intifada palestinienne, par ses formes primaires, a permis aux Palestiniens de retourner l’opinion à leur profit, malgré toute la panoplie technologique blindée israélienne.

Pour le Califat, c’est la mort qui est associée à la notion de victoire, pas la vie ! En tuant des Français « dans le tas », c’est aussi des français musulmans que l’EI vise. Afin qu’eux-mêmes soient amenés à choisir entre le pour et le contre.

Cette guerre asymétrique, avec sa violence aveugle, amplifie notre éloignement avec l’histoire. La violence d’aujourd’hui est sortie du temps. L’instantanéité permanente nous fait vivre en apesanteur, déconnectée de notre passé et sans futur. Or, nous avons besoin de l’histoire pour survivre. Mais l’histoire se construit sur des accomplissements collectifs, par sur des épanouissements personnels. Puisse cette guerre dans laquelle nous entrons de force, pour longtemps, et sans aucune préparation, nous apporter ce supplément d’âme citoyen qui, seul, nous fera vaincre.

Nicolas Rousseaux

photo : © Nicolas Rousseaux

 

Comments (1)

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  • 25 novembre 2015 à 1:50 Rousseaux

    Merci .. pour le supplément d’âme……qui o se en parler encore? Ou sont nos valeurs?
    Bravo pour avoir le courage de dire…..