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La culture générale, ressource en voie de disparition

Posted: 11 octobre 2015 à 10:21   /   by   /   comments (0)

Et si… faire relire Aristote, Flaubert, Cervantès, Kawabata ou Lampedusa aux cadres ne participait pas seulement d’un effet de mode mais avait un double effet bénéfique :

– Le recours à la « culture gé » convainc de l’usage qui peut être fait du sentiment dans l’action, affaire de subtilité, de temps long, de rencontres, de connaissance de soi.

– Ce recours devient aussi un levier déterminant pour gérer sa carrière et grimper dans l’entreprise.

 

Publié par www.hbrfrance.fr – Harvard Business Review France

http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/09/8387-la-culture-generale-une-ressource-en-voie-de-disparition/

 

Face à des manageurs en recherche continue de souffle et de sens, rien de mieux que de faire rimer culture et culture d’entreprise. Car en la matière, seule la « culture gé » sait traduire l’accord mystérieux que se fixent les hommes entre le monde et leur propre existence, ce fameux pouvoir de « discernement » cher aux partisans des « humanités » de jadis.

La fonction essentielle de la culture générale n’est pas de briller dans les salons ou les conseils d’administration. Elle tend à devenir un des outils de gestion clefs de la complexité. Le pouvoir des « humanités » était de savoir interpréter le monde (Yves Citton, « L’avenir des humanités », La Découverte, 2010). C’est-à-dire d’apporter à l’être humain une culture dynamique non pas constituée seulement de savoir en boîte ou de thèses académiques mais aussi de « tâtonnements, d’errances et d’erreurs, de suspens, de sauts, de bifurcations, de rencontres où l’intuition (esthétique) joue un rôle aussi important que la systématicité (scientifique) ».

Têtes bien pleines mais pas forcément bien faites

Les DRH commencent à voir émerger, parmi les jeunes générations de cadres, diplômés des meilleures écoles (Polytechnique, HEC…), des « retoqués » de la promotion interne, dépourvus de conversation, de prise de recul, de capacité à mettre en perspective. Eux qui, normalement, devraient prendre d’assaut les rênes des organisations de demain se mettent à hésiter, freiner devant l’obstacle.

Un nouveau plafond de verre est ainsi en train de voir le jour. Il ne concerne pas les minorités habituellement évoquées mais tous ceux qui ne lisent plus, qui ne se cultivent plus. Or, pour faire émerger ces futurs hauts potentiels à de réels niveaux de responsabilité et de leadership, comment vaincre ce déficit de regard subtil sur la vie?

Des séances de formation sur « la mémoire » chez Veolia ; un atelier-animation sur la « culture générale » pour les parents, clients du Club Med, sur le site d’Opio (Alpes-Maritimes) ; une historienne de l’art, un metteur en scène, un architecte et un neurologue pour aider Rothschild à revoir sa stratégie ; des manageurs de Lafarge et de GDF Suez (devenu Engie) venant en cours du soir à Normale Sup… Plus qu’un faisceau de signaux faibles, c’est un véritable mouvement de fond qui prend forme.

A l’automne, une grande banque française va lancer en interne, pour ses directeurs, une série d’ateliers autour de « l’expression de soi ». Objectif explicite : redonner confiance aux manageurs dans leur capacité à structurer leur pensée à travers la langue française, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Objectif implicite : les aider à se réapproprier, individuellement, les structures du langage, sa syntaxe, sa grammaire, son orthographe. Principe d’action de ces ateliers : redonner le goût de la lecture, de la curiosité intellectuelle, du débat, de la prise de parole afin de retrouver l’initiative et la maîtrise du dialogue face à ses clients ou à ses collaborateurs.

Des écarts qui se creusent

A plus long terme, le but, pour l’entreprise, est d’arriver à combler les déficits de plus en plus criants de l’Education nationale. Les jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi reflètent l’état général de déliquescence de l’institution, en particulier dans les matières non scientifiques. La nouveauté est que cela touche aussi les nouvelles générations de diplômés (université, grandes écoles), qui sont les futurs cadres dirigeants. Dans certaines professions (les plus concernés sont les commerciaux, les informaticiens, les financiers de marchés), on va même jusqu’à parler d’une nouvelle forme d’illettrisme. Sms et mails font des ravages, le savoir lire et le savoir écrire se perdent. Entre 1987 et 2007, le ministère de l’Education nationale a constaté un doublement (de 10 à 20 %) du nombre d’enfants incapables de lire à la sortie du CM2. Pire, à l’entrée en sixième, l’écart entre le nombre de mots maîtrisés est passé de 1 à 7 (de 350 à 2 500 mots) selon la localisation des collèges. Même si le sujet reste tabou, les dirigeants commencent à prendre la mesure du phénomène.

Nicolas Rousseaux

 

Lien : http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/09/8387-la-culture-generale-une-ressource-en-voie-de-disparition/

Photo : © Nicolas Rousseaux

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