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Le sur-mesure de masse : une impasse

Posted: 11 octobre 2015 à 10:38   /   by   /   comments (0)

Et si… l’identification puis la reconnaissance des besoins de chacun signait la mort, insupportable de la vie en société. Témoignage d’un PDG d’une chaine de distribution : « Dans une semaine moyenne, nous avons 24.000 clients par jour, avec 10 produits par panier, ca fait 240.000 produits distribués en moins de 24 heures. Et dire que ces 24.000 personnes sont toutes uniques ! » Les consommateurs, gênés d’être traités par le capitalisme non pas comme des individus mais comme une masse sérielle, veulent désormais des produits qui leur ressemblent, des services personnalisés, « customisés ». Un énorme piège ! Une impasse à terme.

Lutter pour être soi-même, enfin (mais en vain)

DSC07033Egoïsme ? Egolatrie ? L’obsession d’entretenir chez chacun de nous l’illusion d’être unique s’impose. Cosmétiques, bicyclettes, canapés, chaussures de basket, parfums, tout le monde y passe. Harley Davidson, emblème  du motard solitaire, n’offre que 25 modèles de moto mais possède un catalogue d’accessoires de 800 pages et 900 références, afin que chaque « easy rider » puisse disposer d’un exemplaire unique.

Le capitalisme a enfin reconnu que nous avions besoin de croire à notre « inaliénabilité » ; il s’est mis à l’écoute des exigences de nos corps imbus de fierté ; il s’est évertué à produire des singularités à travers les interventions sur le corps même. Au-delà du tatouage et du piercing, la primauté de l’individu se répand ainsi jusqu’à des pratiques extrêmes : branding (marquage de la peau au fer rouge ou au laser), burning, cuting, peeling, stretching…000048

L’égalité semble nous étouffer. Finie la démocratisation du prêt à porter ! Fini le « client », place au « partenaire ». Nous passons de l’hyper volumétrie de l’offre en grandes surfaces à l’égo gonflable qui forge notre moi à l’hélium. Dans ce capitalisme de fiction, notre affaire n’est plus les marchandises, mais les idées. A quoi bon chercher un sens au monde, cherchons d’abord un sens à « ma vie ».

A l’inverse, la perte continue de points de repères solides et collectifs aggrave le morcellement des individus chargés de former un moi toujours meilleur. Comment ne serions-nous pas insatisfaits de n’être qu’un moi parmi tant d’autres ?

Les classes sociales ont disparu, au profit des classes de vie. La lutte des classes a cédé la place à la lutte pour être soi-même. Ce ne sera plus dans l’organisation sociale que nous trouverons la clé de nos maux, mais dans le roman psychologique de la vie privée. L’espoir change de camp : il déserte la révolution et s’installe dans les anxiolytiques, les amphétamines et le Prozac. Revers de l’hyperindividualisme, tout en craignant de nous fondre dans le collectif, nous apparaissons paradoxalement désespéré à l’idée que la communauté disparaisse.

DSC06917La mise à l’encan du père et la transformation de Dieu en héros de science fiction, nous laissent désemparés et sans lois. Hier, devant l’autorité du père, soit l’enfant se soumettait, soit il la refusait. Désormais, les parents battent en retraite. Quant à Dieu, il est passé, comme une idole qu’on finirait sa course, brulé en place de Grève.

Si je suis devenu le maître absolu de moi-même, si je suis mon propre père et mon code moral, je suis aussi mon seul juge, et en même temps, le coupable absolu. Plus mon moi s’agrandit, plus il devient fragile, une victime que tout peut ébranler.

Nicolas Rousseaux (d’après Vicente Verdu)

 

31suD8HUkPL._SX297_BO1,204,203,200_ Verdu
Le style du monde,

la vie dans le capitalisme de fiction,

par Vicente Verdu

ed. L’autre pensée, Stock, 2005

 

 

photo : © Nicolas Rousseaux

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