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Cessons de décréter le changement, vivons-le !

Posted: 26 juin 2015 à 6:00   /   by   /   comments (0)

La pile de dépliants « tout sourire » du nouveau projet d’entreprise trône sur le bureau du directeur régional. Ils affichent les mêmes sempiternelles formules éculées : « notre cap, nos enjeux, notre fierté, notre ambition, notre plan d’action, nos facteurs clefs de succès, nos indicateurs…» Le Directeur régional sait bien qu’ils finiront au fond d’un tiroir, comme avaient déjà fini avant eux les brochures dédiées au « Cap 2018 » annoncé avec fracas par la direction générale (du genre « vous allez voir ce que vous allez voir ») ou encore celles du programme « Horizon 2015 », qui n’a été accompli qu’à 50 % car un an après son lancement, un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi, ou plan de licenciements, en langage clair) avait alors été brusquement annoncé.

Publié par www.hbrfrance.fr – Harvard Business Review France :

http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2015/01/5876-cessons-de-decreter-le-changement-vivons-le/

 

La révolte gronde. Pourtant, il va bien falloir les distribuer, ces dépliants, aux 50 conseillers commerciaux conviés dans l’après-midi afin d’avaler sagement la bonne parole descendue du Saint Siège. Un goût amer dans le fond de la gorge, le Directeur relit pour la énième fois la présentation Powerpoint de 35 pages que la Direction du réseau lui a concoctée pour l’occasion. « Comment éviter le flop et redonner de l’enthousiasme à mes équipes ? Je sais très bien ce qui va se passer. Je vais lire dans leurs yeux la lassitude de l’exercice obligé », se dit-il. « Mais pour qui nous prennent-ils là-haut ? Pour des moutons, des perroquets, des oies ou des autruches ? Peut-être les quatre à la fois ? »

Le ton de la révolte gronde chez les cadres intermédiaires pris en tenaille entre les discours arbitraires et souvent abstraits qui tombent du sommet, et le réalisme pragmatique du terrain, lui aussi coincé dans ses contradictions allant de la passivité à la grande fatigue, de la fatalité à l’énergie du désespoir, en passant par ce qui l’emporte, in fine : le chacun pour soi.

A nouveau processus, nouvelles règles. Pourtant, à la solitude de l’agent commercial, ancré au fond de sa vallée, le regard las devant ses tableaux d’objectifs mensuels, répondent aujourd’hui de nouveaux modes d’appropriation du changement. Il a radicalement changé, la porosité des organisations transformant en discours ringard tout grand exposé dépourvu de preuves tangibles, d’illustrations précises et d’exemples vécus.

Le changement ne peut plus se dicter du haut (le Capitole) vers le bas (la plèbe). Il se forge de manière parallèle et constante, à tous les niveaux de l’organisation à la fois, 24 heures sur 24.

Voici trois actions simultanées à engager dans un processus de changement continu :

1. Le dirigeant oriente, insuffle, coordonne, redistribue. Il n’est dorénavant plus le seul à « décider » dans son donjon. D’ailleurs, le voudrait-il qu’il ne pourrait plus le faire, faute de rassembler un niveau satisfaisant d’informations et de données en temps et en heure. La compréhension exhaustive d’une situation à un instant « t », de plus en plus raccourci, est devenue illusoire. Pas question de passer sa vie à vouloir intégrer la vraie nature du problème à résoudre afin d’aboutir à une décision raisonnée. Du coup, et ce n’est pas la moindre des révolutions en marche, le pouvoir de décision passe du côté du terrain. Priorité à la proximité ! Charge au dirigeant d’assurer la solidarité transversale, le respect du droit à l’erreur et le maintien du cap à tenir. Pas si simple pour des individus dont le passé a été édifié sur de sacro-saints principes d’autorité et de maîtrise toute puissante.

2. Le cadre intermédiaire, lui, part à la recherche d’un second souffle. Il devra s’extraire de son moule pour aller se confronter au monde changeant. Y compris ailleurs que dans son secteur d’activité. Son job ? Identifier un nombre restreint de pratiques dites pudiquement « marges de progrès » au sein de son organisation, puis partir physiquement à la rencontre d’entreprises en France ou ailleurs qui ont fait leurs preuves, avec succès, sur les pratiques en question. Communication de crise, sur mesure de masse, expérience client, maîtrise des réseaux sociaux, pilotage par les processus, gestion du stress, relations donneurs d’ordre/sous-traitants, transformation des bureaux en open space…. La solution ne consiste plus à copier ce que son concurrent fait de mieux, mais à dénicher la différence et s’immerger dans des univers improbables, quel que soit le secteur d’activité en question. « Si tu es pressé, fait un détour », dit le moine zen.

3. Le collaborateur, enfin, retrouve le droit à l’initiative. Mais diable, qu’il est difficile d’innover, même sur sa terre de prédilection, quand on a passé vingt ans à « exécuter » les décisions prises par d’autres personnes que soi ! Pourtant, il n’y a pas d’autres alternatives. Place aux « hubs » du changement, plateformes ouvertes d’échanges d’expériences, aux formations, au partage d’expertises avec l’extérieur, aux ateliers d’écriture sur le « storytelling d’une marque », aux projets pilote « test & learn » ou encore aux « Transformation Days », ces séminaires de quelques jours durant lesquels tous les collaborateurs sont appelés à répondre, par SMS ou tout autre moyen digital, à une question précise, créatrice de valeur, comme par exemple : « comment transformer radicalement l’expérience SAV du client ? » ; « quelle nouvelle promesse peut-on proposer à nos clients de moins de 25 ans ? » ou « comment renforcer notre sécurité informatique tout en restant le plus ouvert possible à l’extérieur ? »

Responsabiliser simultanément tout un chacun. Alors, sommes-nous moutons, perroquets, oies, autruches ? Rien de tout cela. En lieu et place du grand zoo de la transformation pyramidale se mettent en place des approches opérationnelles du changement plus flexibles, transverses, ouvertes, participatives et individualisées.

La différence de fond avec les trente dernières années se situe bien là : pour adapter simultanément toute l’organisation aux changements de son écosystème, la solution ne se trouve plus dans la militarisation exacerbée du processus de changement (« je ne veux voir qu’une seule tête »), mais dans la responsabilisation de chacun au même instant, afin que l’exemple à suivre ne vienne plus seulement du haut ou du bas, mais de tous les acteurs de l’organisation à la fois. Individuel et collectif, les futurs pactes de confiance entre le collaborateur et son organisation se feront à ce prix. Celui de la diversité, de la créativité et de la crédibilité.

Nicolas Rousseaux

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Photo : © Nicolas Rousseaux

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