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La route de la soie n’a jamais existé !
Raconter des histoires. Bien plus qu’une mode, une constante dans la vie des hommes. Le « story telling » en représente aujourd’hui la forme la plus visible, car il touche davantage la fibre émotionnelle du client potentiel que le prix ou même l’atout qualité
Encore faut-il savoir « raconter » ! Maître en la matière, le BaronFerdinand von Richthofen « invente » en 1877, la Route de la Soie. Une voie mythique qui n’a pas eu d’existence réelle. Voià bien la puissance de feu de l’histoire, celle de créer du désir, de la projection, du mouvement, à partir de… trois fois rien
Décryptage-transposition :
Entre Samarcande et Xi’an, les sables de l’immense désert de Takla-Makan (270.000 km²), dans le pays ouïghour, « wild west » chinois, ont révélé leur secret. Les multiples fouilles engagées dernièrement le long de ces oasis et chemins millénaires (via l’étude approfondies des papiers de récupération qui enveloppaient les sarcophages enterrés : vieux contrats, laissez-passer, certificats, reçus, ordonnances médicales, édits de justice,…) convergent vers cette vérité : la Route de la Soie n’a jamais existé ! Une conclusion qui apparait vertigineuse, tant les images et les fantasmes prennent le pas dans nos mémoires collectives sur les faits, même les plus têtus.
Ni « route », ni « soie »
L’essentiel du commerce entre l’Asie orientale et l’Occident empruntait de multiples sentiers (longs de 3.600 kilomètres minimum) dont la plupart aboutissaient à la Perse, lieu de stockage, avant de rejoindre l’empire romain, par d’autres pistes. Papier, verre, épices, cuir, métaux symbolisaient alors les objets de toutes les faveurs, au contraire de la soie (parfois utilisée comme monnaie, du fait de sa légèreté et de sa valeur), toujours trop rare et trop fragile. Plus encore que le troc, limité au faible nombre de chameaux et ânes disponibles, l’importance capitale de ces voies étroites naît surtout du dialogue entre les idées, les technologies et les expressions artistiques. Ainsi en est-il des tête-à-tête entre manichéens, zoroastriens, chrétiens de Syrie et bouddhistes indiens, avant la déferlante islamique.
Autre révélation de taille : la transmission de ces savoirs et croyances ne s’est pas opérée grâce aux commerçants nomades, trop peu nombreux, mais entre les villages et lieux de rassemblement. Ni « route », ni « soie » donc ! Mais, alors, d’où nous vient cette légende dorée qui a bouleversé tant de Marco Polo en herbe, fascinés par les émaux de l’Asie Centrale, bouleversés par le « Livre des merveilles » ?
La « route de la Soie », une invention occidentale
En 1877, pour la première fois, le Baron Ferdinand von Richthofen parle de « Route de la soie ». Géographe présent en Chine depuis 1868, auteur d’un atlas en cinq volumes, sa mission était de suivre le commerce du charbon et l’activité des ports chinois. Et son idée était de construire une ligne de chemin de fer entre la province du Shandong, alors sous influence allemande, jusque dans son pays natal. Il décida de nommer ce projet « Route de la soie », en référence au passé mythique.
La réflexion actionnable :
Mais que vient faire ce nouvel empereur sur les bords du Rhin ?
Un siècle et demi après les rêves du Baron audacieux, en ce matin du 30 mars 2014, qui voit-on pénétrer, en voiture blindée, dans la ville de Duisbourg, port fluvial le plus important d’Europe ?
Xi Jin Ping, président de la République Populaire de Chine en personne !
Et que vient faire ce nouvel empereur sur les bords du Rhin, à part signer le livre d’or de la cité ?
Il inaugure la première ligne de chemin de fer pour le transport de wagons de marchandises (premiers clients : Volkswagen, Hewlett Packard) entre Chongqing, au cœur de la Chine (Sechouan) et l’Allemagne. Tout simplement.
Napoléon disait qu’il gagnait ses batailles à travers les rêves de ses soldats endormis. Qui aujourd’hui se donne le droit de rêver ainsi ? D’ailleurs, la « Route de la Soie » n’existe-t-elle pas bel et bien désormais ? Prémices aux futurs TGV Pékin-Londres (à 450 km/h), puis à l’incroyable Pékin-New York (via un tunnel sous le détroit de Béring) annoncés par le gouvernement chinois.
Nicolas Rousseaux
The Silk Road – A new history” – From silk iconic trade to the spread of new ideas
Par Valerie Hansen, professeur d’histoire à l’Université de Yale aux Etats-Unis
Ed.Oxford University Press, 2012
Article publié en exclusivité dans Booxstorm
http://booxstorm.com/et-si-la-route-de-la-soie-navait-jamais-existe/
Photo : © Nicolas Rousseaux
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