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L’expérience clients, bombe à neutrons de la chaîne de valeur
Les organisations sont devenues poreuses. Avec ses exigences, son pouvoir de négociation, son niveau d’information, ses idées, sa versatilité, ses usages, son individualité, le « client » s’est installé au cœur de l‘entreprise et y fait la loi. Ce faisant, il renverse toute la chaîne de création de valeur, de la R&D à la distribution.
Publié par www.hbrfrance.fr – Harvard Business Review France :
http://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/03/1748-lexperience-clients-bombe-neutrons-de-la-chaine-de-valeur/w France
Avant-hier, dans l’économie de l’offre et de la demande, l’entreprise générait, de l’intérieur, des produits et des services, dans le plus grand des secrets, pour les fabriquer et les tester ensuite sur un marché territorialisé, sectorisé, délimité, identifié. Si la demande était au rendez-vous, opération gagnante. De là, l’apparition de la notion de « satisfaction » du client.
Hier, le rapport de force commençait à se tendre. En se segmentant de plus en plus, de styles de vie en CSP, la demande devenait multiforme. Aux organisations d’adapter leurs systèmes en conséquence : diversification des gammes, packaging différenciés, publicité ciblée, « plus produit »… De là, l’apparition du concept de « relations clients ». Un premier niveau d’interactivité, une nouvelle proximité voyait alors le jour.
Aujourd’hui, panique à bord. Le client n’attend plus patiemment, assis sur son canapé, tout en feuilletant son catalogue de VPC, derrière le guichet, dans son rayon de magasin, que l’entreprise veuille bien subvenir à ses nouveaux besoins. Le client interpelle, se plaint sur les réseaux sociaux, dénonce les abus, réclame du sur-mesure, commande 24 heures sur 24, met la pression sur les prix, se bat pour la qualité, la rapidité de livraison à domicile, impose ses valeurs morales, désaisonnalise le cycle de vie des produits, ne supporte plus qu’on le prenne pour un « gogo »… De là, l’apparition du concept « d’expérience client ». Le client n’est plus seulement consommateur à un moment donné, c’est un tout, avec sa vie, ses rêves, ses tentations versatiles, son entourage, sa mémoire, ses frustrations, ses désirs et phantasmes, son pouvoir de prescription et d’influence.
Conséquence majeure dans les organisations, l’offre, seule, ne commande plus. L’écoute du client, en tant que personne, fait masse. Elle remonte même tous les échelons du processus de création de valeur jusqu’à provoquer l’accouchement de nouvelles « idées » de produits, de déclinaison, de promotion, d’amélioration, de services complémentaires. Nestlé crée un centre mondial d’écoute des réseaux sociaux, Peugeot lance le premier carnet de chèque de mobilité, Amazon se transforme en supermarché mondial, Nike fabrique et livre pour 250 dollars, des chaussures à l’unité en moins de quatre semaines dans le monde entier,…
Demain, en pénétrant de plus en plus profondément dans les organisations, le client fera imploser la chaîne de valeurs et ouvrira la porte à toutes les parties prenantes (sous-traitants, médias, élus, ONG, concurrents, actionnaires, syndicats, collectivités, communautés, fournisseurs,…) qui n’hésiteront pas un instant à intervenir et mettre leur grain de sel. Vont naître alors des entreprises plus resserrées, ouvertes, sans frontières, sous influences. De vrais écosystèmes ! D’Unilever à Facebook ces géants organiques apprennent à « coller » avec leurs « publics », à anticiper, quitte à leur laisser, le temps d’un projet, les clefs de la maison.
Plutôt que de subir la remise en question complète de son business model, l’entreprise n’a plus d’autres choix que de basculer dans l’Open innovation, en reprenant la main à deux niveaux :
> par la multiplication des partenariats, des plate-formes collaboratives avec les clients, des joint ventures avec labos, start up, centres de recherche du monde entier, le montage de fond de private equity, l’incubation de projet, le test and learn, le prototypage, l’essaimage, l’animation de forum, etc.
> par la refonte radicale des systèmes managériaux en interne afin de faciliter et récompenser la prise d’initiative (le risque !), de réapprendre à responsabiliser les collaborateurs, de former à « l’écoute », de transformer les réseaux de distribution en chambres d’écho actives, de « veiller » en permanence, de s’ouvrir à d’autres secteurs, de partager la réflexion stratégique, désormais affaire de tous.
La nouvelle « économie des usages » imposera aux organisations de reconnecter l’expérience vécue par le client avec celle vécue par le collaborateur. Une triple mutation est en marche : à la fois commerciale, managériale, anticipatrice.
Nicolas Rousseaux
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Photos : © Nicolas Rousseaux
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