La globalisation fatale

Et si… la globalisation économique ne datait pas d’hier, ni de l’après-guerre mondiale, ni de la révolution industrielle, ni même de la Renaissance, mais plutôt d’avant-hier… Disons le XIV° siècle avant J.-C. C’est alors l’âge du bronze dans le bassin méditerranéen. Une apogée commerciale et artistique, qui va s’effondrer d’un coup, en quelques années, pour laisser le champs libre à l’âge de fer. La plus vieille épave du monde, retrouvée sur les côtes turques voici une trentaine d’années, livre ses secrets. Un voyage fantastique dans le temps qui nous renvoie à la fragilité de toute globalisation, friable dans ses innombrables intrications.

Effet papillon, au XIV° siècle avant J.-C.

1.300 ans avant J.-C. Mer Egée, l’Ulu Burun fait naufrage. Il transporte une cargaison extraordinaire, symbole le plus sophistiqué de cette première « économie monde » que fut l’âge de bronze. Pourtant, c’est exactement à ce moment là, dans un incompréhensible mouvement simultané que toutes les civilisations du pourtour méditerranéen s’écroulent.

Histoire contigüe d’un naufrage et d’un effondrement

A la pointe du golfe de Cos, sur la côte anatolienne, l’Ulu Burun (« Grand Promontoire ») s’enfonce, par 42 à 61 mètres de fond. Retrouvée en 1982, cette plus ancienne épave du monde à ce jour, témoigne d’une époque mythique qui vécu l’apparition de la première économie monde, expression originelle d’une globalité ouverte, étroitement interconnectée sur plusieurs continents.

De 1984 à 1994, il fallut aux archéologues 22.000 plongées pour remonter la coque en cèdre du Liban et sa cargaison complète. Parmi une collection inestimable d’objets précieux, de matériaux rares, de produits agro alimentaires sophistiqués, ils découvrent une série de verres d’une infinie délicatesse, d’un éclat hallucinant pour l’époque.

Mais ce naufrage représente aussi le moment d’un effondrement généralisé et soudain de cette partie du monde. Militaire, économique, culturelle, un point de rupture violent, dont les causes restent encore mystérieuses aujourd’hui, qui voit expirer l’âge de bronze, et émerger l’âge de fer.

Bien avant les Grecs, dans les terres ingrates du Péloponnèse, s’est développée une civilisation du bronze, si brillante, si subtile, que son influence dépassa les confins de la Mer Egée.

Mycénienne était son nom.
Mycènes était sa capitale.

Sa science du souffle, sa maîtrise des fontes étaient enviées par tous les peuples de Mare Nostrum, du plateau anatolien jusqu’à la Vallée des Rois.

Le verre et les bijoux précieux mycéniens se retrouvèrent ainsi aux quatre coins de la première économie globale entre Occident et Orient. Sur la côte anatolienne de l’Asie mineure, devant le port qui deviendra Halicarnasse (Hérodote y verra le jour 900 ans plus tard), un imposant navire marchand repose en paix.

Entre 44 et 61 mètres de fond, avec les dix tonnes de cuivre chypriote, les scarabées et sceaux égyptiens au nom de Néfertiti, les lingots d’étain du Badakhshan afghan, la défense d’un éléphant, le sceptre-massue en pierre des Balkans, la tonne d’essence de pistachier (térébenthine, ingrédient surnaturel des faiseurs de parfums), les 14 dents d’hippopotames, les deux boites de cosmétiques en ivoire, la céramique, les amphores bourrées d’orge, la faïence, les boucles d’oreille et le calice en or du Levant, les armes et les outils de bronze, les jarres de coriandre et de sumac, de grenades et de figues, les rondins d’ébène de Nubie, les 200 barres de verre brut de Mésopotamie, le lapis-lazuli, les tablettes d’écriture en bois enduites de cire, furent aussi découvert un assemblage étincelant de pots, tasses et flacons de verres blancs, dorés, turquoises, chamarrés.

Une symphonie lunaire composée de transparences, parsemée de bulles, d’esprits sensibles, de touchers vaporeux, de cambrures gracieuses, irréelles.

Près de quatre mille années plus tard, nous voici dans la pénombre d’un château de Chevaliers, parmi les fantômes de Croisés sur leur chemin de Damas, face à ces objets retirés, animés de lumière.

Le long de la baie, sur la terre des Hittites, la route d’Alexandre, le sentier de Paul, les ruines du tombeau de Mausole, septième merveille du monde. Vestige dévasté d’une architecture cyclopéenne, dont les immenses blocs de pierre reconquis par ces chrétiens français, allemands, anglais, italiens, servirent à bâtir, à leur tour, les donjons symboliques de leur propre écrasement, puis de leur fuite.

Encore et encore, les rois mycéniens se retournèrent dans leurs tombes violées :

« Pourquoi cet effondrement soudain ? Nous avions prié les Dieux en abondance. Nous avions accompli nos offrandes à foison. Nous avions consulté les oracles jusqu’à satiété. Pourquoi devions-nous tous disparaître de cette terre qui nous doit tant ? Le sol a tremblé ici bas, le ciel a changé de couleur, la sécheresse s’est abattu sur le croissant, les peuples de la Mer nous ont combattu. Et nous serions tous trépassés, comme engloutis sous le battement d’aile d’un papillon géant. Pourquoi ? Pourquoi ? »

Les armées de Pharaon luttent contre les envahisseurs venus de la mer.

La survie de l’empire égyptien se joue dans le delta du Nil.

L’étranger s’est transformé en ennemi.
Tout est détruit.  Tout est à reconstruire.

De ces cendres, un autre âge va voir le jour.

Nicolas Rousseaux

L’Œil du Cyclone

Le naufrage de la première économie globale

EXPOSITION

du 15 décembre 2015 au 16 février 2016

Sur rendez-vous, au 10, avenue Matignon, 75008 Paris – Tel.: 01 45 63 67 67

Exposition conçue par Nicolas Rousseaux

Réalisée par l’équipe Mediation
Production Mediation-Consulting

Crédits photos © Nicolas Rousseaux – mai 2015

Catalogue et affiche de l’exposition sur demande.