Expo 2025 : une pensée vide

Et si… la France de 2015 retrouvait l’esprit de 1889 ! OK. Mais où se cache le futur Gustave Eiffel de 2025 ? A voir les premières ébauches de l’Expo, c’est à reculons que le gouvernement Valls fait entrer la France dans le XXI° siècle. Absence totale de vision, rabâchage de vieux clichés, passéisme tragique. La candidature de Paris 2025 a des odeurs de sapin.

Lettre ouverte à Pascal Lamy

Délégué interministériel chargé de superviser la candidature de la France à l’Exposition universelle de 2025, Monsieur Lamy, vous voilà devant une ambition bien élevée, avec un personnel politique plus bas que terre et un pays déboussolé par le tumulte de sa crise structurelle que peu de personnes n’osent affronter de face.

M.Lamy, votre défi est double. Il consiste à la fois à vaincre la peur paralysante du risque dans un pays bloqué et tétanisé, tout en réveillant les leviers de l’imaginaire, pour un peuple désabusé dont les élites (jeunes ou établies) s’exilent.

La lecture du projet, à ce stade, nous fait froid dans le dos. Atterrant ! On se croirait renvoyés 20 ou 30 ans en arrière, alors que l’Expo est prévu pour 2025. Décortiquons la chose. Voici ce qui est prévu au programme, Mesdames et Messieurs, accrochez-vous :

L’exposition universelle des clichés. Une honte nationale : l’incapacité à penser le futur !

• Un « Village global », au centre de l’expo. Avec une mappemonde de plus de 100 mètres de diamètre (comme pour l’exposition de New York en 1964-1965. Waouh Effect garanti !). Très fort. Sauf qu’en 2025, où en sera la globalisation, qui en parlera encore ? Le mouvement actuel de multipolarisation, la baisse continue des taux de croissance du commerce maritime, le retour à des triangles de croissance régionaux, la nécessité des circuits courts, les mouvements de customization de masse, la relocalisation des emplois locaux,… tous ces indicateurs vont dans le même sens. Un détricotage de la globalité. Quant au village, il s’agit sans doute de celui dans lequel se sera réfugiée la France, toute entière consacrée au tourisme de masse, au luxe et à ses clichés (comme pour l’Expo de Shanghai en 2010 : parfums, macarons et petites pépés… le pavillon étranger le plus visité de l’expo !). La vraie expo 2025 existerait donc déjà : le Parc Astérix !

• Les terres d’accueil et les nouveaux patrimoines : réfugiés et vieilles pierres… Hum, où se situe le rapport ? Ne serait-ce pas là le lieu idéal qui mixerait toutes nos contradictions (droits de l’homme et nostalgie de l’ancien régime) ? Avec un stand spécial, consacré à la gestion des paradoxes, dont un programme d’ateliers interactifs et ludiques ouverts au grand public ? Exemple de jeu à résoudre : « Vous êtes à la tête du gouvernement français. Vous refusez de vendre des navires militaires Mistral haut de gamme aux Russes parce que vous n’avez pas confiance en Poutine. Vous préférez les généraux égyptiens, symboles à eux seuls d’une probité rare en matière politique, mais vous savez que les caisses de leur République corrompue jusqu’à la moelle, sont vides. Vous vous arrangez alors, discrètement, pour que vos bons amis d’Arabie Saoudite (dont les scheiks viennent se soigner dans vos hôpitaux militaires… ah, la France, terre d’accueil) financent le tout par leurs pétro dollars. Vous passez sous silence le fait que ce royaume soit suspecté de remplir en sous main les coffres forts de l’Etat Islamique, destructeur, entre autres crimes, de sites cités au patrimoine mondial de l’humanité (il faut préserver les emplois à Cherbourg). Enfin, vous décidez d’entrer dans la bagarre moyen-orientale en envoyant les Rafales bombarder l’EI, avec l’appui de vos amis de l’Otan, alors que simultanément les Sukhoï russes font de même sur place. » Vous avez 15 minutes pour résoudre l’équation et y comprendre quelque chose. Atelier sponsorisé par la DCN, Direction des Construction Navales.

• L’Eiffel expérience : rien ne vaut une vieille et bonne recette de pot au feu pour faire rappliquer le touriste de basse. Soupe à l’oignon, et crêpe Suzette à la rescousse. Gustave va se retourner sans sa tombe. Plutôt que de mettre en avant l’ingénieur créatif de demain, capitalisons sur le passé, usons le jusqu’à la corde. Et puisque le concept d’expérience est à la mode, voilà le sticker idéal : « The Eiffel Experience ». On prend les mêmes et ca recommence. Quand on dit que l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle bégaye… nous y sommes. Qui pourrait sponsoriser cette « attraction » ? Pourquoi pas Citroën ? Après tout, le génial André Citroën avait eu, le premier, l’idée de décorer la Tour Eiffel de sa marque aux chevrons. Quitte à plonger dans les nappes soporifiques du patrimoine, allons farfouiller dans celle de la publicité à la française ! Ah, mais il y a un petit bémol. D’ici 2025, les Chinois de Dongfeng auront racheté tout le capital de PSA Peugeot-Citroën. Zut alors !

• Le « quartier Oxygène » : l’endroit où serions amenés à « respirer » ? Sponsorisé par L’Air Liquide ? Chacun sa dose d’oxygène, son masque et ses bombonnes ! Avantage, on évite l’alcoolisme, tout en bénéficiant d’un effet euphorisant.  Un quartier dédié à l’environnement ? Une zone piétonne ? Voilà une vision qui ne manque pas d’audace. La question environnementale dans son ghetto : le contre sens parfait.

• L’agora des arts vivants : jongleurs, mimes, accordéon, acrobates, orgues de Barbarie, animaux savants, conteurs… la rue du Moyen-âge reconstituée. Ce sont les enfants qui vont être contents,… et les intermittents du spectacles. Un Festival d’Aurillac puissance 10 ! Top.

• L’université des connaissances : c’est dommage, elle existait déjà, mais on l’a fermé. Vous pourrez toujours traduire et mettre en vente ses actes : « L’université de tous les savoirs », sous la direction d’Yves Michaud (ed. Odile Jacob, 2002, 12 volumes).

En 1889, la volonté de sortir de la défaite de 1870 avec, sur le dos, une indemnité de 5 milliards de franc-or payable à l’Allemagne, d’oublier le renversement de Gambetta en 1882, d’échapper à la crise boursière et économique de 1884, avait, à l’époque, convaincu les édiles de faire entrer la France dans le XX° siècle, la tête haute tout en sauvant une III° république encore fragile et bien pâle. La France voulait laisser derrière elle ce XIX° siècle usant (deux empires, trois monarchies, deux républiques, trois révolutions…). Était alors arrivé Gustave Eiffel… et son projet de tour (qui ne servait à rien !).

M.Lamy, comment allez-vous réconcilier la nation avec elle-même ? Seul un grand projet, un projet en rupture, une audace folle, un pari unique peut vous  apporter le rayonnement international dont le pays a cruellement besoin.

M.Lamy, partout en France, vous avez des Gustave Eiffel du XXI° siècle qui sont prêt à inventer la France dans le monde de demain.

Nous travaillons quotidiennement avec eux mais vous ne le voyez pas, vous ne le savez pas.

Nicolas Rousseaux

Photo : © Nicolas Rousseaux