Débat irréel

Et si… le débat en France descendait de ses estrades, de ses plateaux de télévision, de ses studios de radio, pour aller à la rencontre du commun des mortels, tout en évitant de laisser le monopole de la parole aux observateurs et experts patentés de la démocratie de terrain.

La confiscation de la parole, toujours elle !

Salle de la Mutualité, Paris, 5ème arrondissement, le mardi 20 octobre 2015, « réunion publique ». Le magazine Marianne a convié ses lecteurs pour un événement qui mérite le détour : « Peut-on encore débattre en France ? » Bon sujet, car entre l’intolérance des extrémistes de tous poils et le manque de recul des icones médiatiques parisiennes, sans oublier la déculturation en marche, il y a de quoi faire… D’ailleurs la salle est comble.

En vieux grognard des médias, Jean-François Kahn anime la soirée. Autour de lui sa brochette de copains intellos 100% naphtaline : Joseph Macé-Scaron, Laurent Joffrin, Alain-Gérard Slama, Jaques Julliard, etc… tous ceux qui ne cessent d’éditorialiser l’actualité depuis des lustres,  en virevoltant de BFM en LCI, de France 24 à I.télé. maquillés en permanence, au cas où…

Les neuf orateurs présents sur scène se sont demandés « si l’on peut confronter des opinions contradictoires sans diaboliser le contradicteur. » Surtout quand on parle du Front National, des musulmans, de la laïcité… Tous tombent d’accord, le débat est devenu impossible.

Au bout de ces prises de paroles, en rang d’oignions, l’animateur se tourne vers le public (tiens, il y a des gens dans la salle !!!!!!) – moment sublime – et déclare : « je vais passer le micro à la salle pour quelques questions. Rapidement parce qu’on va être chassés ». Il reste alors 10 minutes en tout et pour tout.

L’explosion ! Des dizaines de personnes se lèvent et viennent devant la scène, furieux ! « Personne ne répond, ca ne sert à rien de poser une question ! » et puis « Vous vous foutez de nous, vous avez invité des gens qu’on voit tout le temps à la télé »!

Jean-François Kahn tente de calmer le public. Rien n’y fait. Oui, il le reconnait lui-même, il n’y a pas eu « débat ». CQFD.

Le débat se débat dans les filets de la médiatisation forcenée et les débatteurs tournent en rond dans le manège de l’information en continu. Démocratie en panne.

Source : Le Monde, daté du 22 octobre 2015

Photos : © Nicolas Rousseaux