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1929 : choc voulu, organisé, répété
Le Livre du mois : « La guerre des monnaies – La Chine et le nouvel ordre mondial » par Hongbing Song
Pourquoi avons-nous sélectionné cet ouvrage ? Pour deux raisons majeures :
- D’abord pour l’originalité de sa perspective historique et de sa recherche documentaire. Le regard analytique, parfois diabolique, porté sur les causes de la guerre de sécession en Amérique ou la crise de 1929 et le rôle des banques centrales occidentales dans la préméditation de ces crises mérite d’être lu et décrypté attentivement.
- Car, et c’est notre deuxième raison, l’auteur représente indiscutablement l’avant-garde d’une stratégie chinoise de déstabilisation et de dénonciation des procédés « barbares » des Occidentaux, jusqu’à mettre en doute le rôle de leurs banques de réseau sur le marché chinois intérieur. L’immense succès commercial de cet ouvrage en Chine témoigne à la fois d’un nationalisme sans complexe et des questions de fond que se pose le gouvernement dans la définition d’un nouvel ordre monétaire global, qui ne soit plus seulement sous la coupe unique des banquiers américains, anglais, allemands et français.
Quel est son message clef ? Les banques centrales occidentales défendent-elles vraiment les intérêts vitaux des nations et des peuples qu’elles représentent ? La réponse, à travers une série impressionnante d’illustrations (de véritables coups de butoir), apparait ô combien dérangeante :
- provoquer une inflation galopante
- prendre parti dans les guerres civiles,
- réunir les conditions d’un conflit militaire d’ampleur mondiale,
- se retirer subitement d’un marché,
- manipuler des groupes de pression dans le but d’assassiner un président élu démocratiquement,
- pousser l’endettement des Etats à leur maximum
- couper les robinets du crédit du jour au lendemain,…
Des bons du trésor aux subprimes ou au cours de l’or, tous les moyens sont bons, même les plus cyniques, pour préserver son terrain de jeu spéculatif. Des réunions secrètes dans des lieux privés et coupés du monde sont organisées afin de faire converger les intérêts et les agendas de quelques hauts fonctionnaires, alliés d’un jour avec les banquiers privés ; conclaves organisés et animés la plupart du temps par le réseau familial des Rothschild ou des Warburg. Les exemples précis pullulent :
- Le financement de mercenaires aux ordres de l’armée anglaise contre les colonies américaines qui frappèrent leur propre monnaie et la doctrine d’un Jefferson plaidant pour une banque centrale contrôlée par l’Etat ou le peuple
- L’appui sans défaut aux armées sudistes durant la guerre de sécession.
- Le support technique apporté aux assassins du Président Lincoln
- La spéculation autour de la crise agricole américaine de 1907
- La pression faite sur le président américaine Wilson, pendant la guerre 14-18, pour ne pas intervenir en Europe, où en tout cas au dernier moment, c’est-à-dire en 1917. Et offrir ainsi sur un plateau des lignes de prêts sans fin aux armées belligérantes. La guerre, ca peut rapporter gros !
- La vente de l’Alaska par les Russes aux Américains.
- Etc.
En quoi ce livre peut être utile ?
Pour mieux comprendre l’un des desseins de la Chine de demain sur la scène mondiale et en particulier, ses croyances en termes de politique monétaire et d’instruments financiers. Les longs développements sur la qualité d’un retour au lien qui unissait jadis les monnaies à la valeur de l’or correspondent bien à la théorie confucéenne de l’économie. Si la monnaie ne se fonde que sur l’espérance de gain, elle perd de sa valeur matérielle, et devient le jouet des planches à billets. Alors, toutes les crises sont possibles.
Mieux se remémorer les causes et conséquences de nombreux événements historiques qui ont marqué notre histoire. De ce point de vue, la publication in extenso par l’auteur des actes de la Commission d’enquête du Congrès américain suite à a crise de 1929 fait remonter à la surface des faits, des ententes, des manipulations, extrêmement troublantes, et ce jusqu’à la crise de 2008
La théorie du complot financier mondial vue du côté chinois
La crise de 1929, revue et corrigée
1927 : la conspiration des banquiers
En 1927, Benjamin Strong accède à la présidence de la Banque de réserve fédérale de New York (organe de statut privé). Avec Montagu Norman, le président de la Banque d’Angleterre, il fut l’un des principaux responsables de la fièvre spéculative, en manipulant les taux d’intérêt, qui mena à la récession économique mondiale de 1929. Dans son livre La Politique monétaire, Brian Johnson (The Politics of Money, 1970) écrit :
La politique d‘argent facile menée par Strong sur le marché monétaire new-yorkais, entre 1925 et 1928, se traduisit par la mise en œuvre de l‘accord qu‘il avait passé avec Norman et qui consistait à maintenir les taux d‘intérêt à New York en dessous de ceux de Londres. Au nom de la coopération internationale, Strong refusa la main stabilisatrice qu‘auraient permis des taux d‘intérêts élevés à New York, jusqu‘à ce qu‘il fût trop tard. À New York, l‘argent facile avait encouragé l‘apparition du boom économique de la fin des années vingt, accompagné d‘une incroyable et vertigineuse spéculation.
En 1928, les auditions de stabilisation économique de la Chambre des représentants, menées dans le cadre d’une enquête approfondie conduite par Louis Thomas McFadden, aboutirent à la conclusion suivante : les banquiers internationaux ont manipulé les flux de l’or pour provoquer des crises aux États-Unis.
Les banquiers européens et ceux de la Banque de réserve fédérale de New York prirent l’habitude de se réunir secrètement. C’est la Banque de réserve fédérale de New York qui pilotait en fait toutes les opérations de la Fed, le Conseil des gouverneurs à Washington n’étant là que pour le décor.
L’éclatement de la bulle en 1929 : une nouvelle « tonte des moutons »
« La Fed est largement responsable [de l‘ampleur de la crise de 1929]. Au lieu d‘user de son pouvoir pour compenser la crise, elle réduisit d‘un tiers la masse monétaire entre 1929 et 1933, nous plongeant ainsi dans la récession.»
Milton Friedman
Après une nouvelle réunion secrète, la Banque de réserve fédérale de New York passa immédiatement à l’action et baissa les taux d’intérêts de 4 % à 3,5 %. En 1928, elle avait distribué 60 milliards de dollars au bénéfice des banques membres, et ces dernières avaient utilisé leurs billets à ordre de quinze jours comme garanti.
Lorsque les banques qui tenaient entre leurs mains un énorme crédit rencontrèrent les courtiers avides et affamés, ce fut le coup de foudre. Les banques pouvaient emprunter des sommes à la Banque de réserve fédérale de New York au taux de 5 %, prêtées à nouveau aux courtiers à 12 %, dégageant ainsi une superbe marge de 7 %. À ce moment, le marché boursier de New York ne pouvait que monter en flèche. Dès lors, aux États-Unis, du Nord au Sud et d’Est en Ouest, les gens étaient encouragés à investir toutes leurs économies dans les actions.
Le 6 février 1929, Montagu Norman, de la Banque d’Angleterre, se rendit de nouveau secrètement aux États-Unis et la Fed commença à abandonner la politique monétaire entamée en 1927. Les banquiers anglais semblaient se préparer à un événement majeur. Le retournement économique aux États-Unis allait bientôt se produire.
Le 9 août 1929, la Fed augmenta ses taux d’intérêts jusqu’à 6 %, suivie par la Banque de réserve fédérale de New York qui augmenta ceux des courtiers, les faisant passer de 5 à 20 %. Les spéculateurs furent immédiatement pris au piège et n’eurent d’autre issue que d’essayer de s’échapper de la Bourse. La situation sur le marché s’aggrava, comme un fleuve qui sort de son lit. En novembre et décembre, les ordres de vente balayèrent l’ensemble du marché boursier, et 160 milliards de dollars partirent en fumée.
La planification de la Grande Dépression
Il ne fait aucun doute que le krach boursier de 1929 fut décidé lors de la réunion secrète tenue en 1927. En fait, les financiers européens savaient depuis longtemps que piller les richesses par l’inflation était un moyen plus efficace de faire des profits que par le revenu des intérêts générés par le crédit. Une question peut alors se poser : pourquoi le secteur financier européen représentant les banquiers anglais a-t-il rétabli l’étalon-or à ce moment précis, apparemment contre son intérêt ?
La réponse vient de ce que les banquiers internationaux jouaient une partie d’échecs en plusieurs coups. La Première Guerre mondiale s’était soldée par une défaite de l’Allemagne. Le premier coup de ce jeu d’échecs consistait donc à pousser les banques allemandes à lancer l’inflation, ce hachoir à viande de la richesse, pour piller rapidement l’épargne des Allemands. C’était la première fois de son histoire que l’humanité était confrontée à l’hyper-inflation. Dès 1921, la tendance de la banque centrale allemande fut de battre monnaie sans retenue ni discernement. Par rapport à 1918, l’émission monétaire fut multipliée par cinq en 1921, par 10 un an plus tard et par 72 530 000 en 1923. À partir d’août 1923, les prix atteignirent des chiffres astronomiques, un bout de pain ou un timbre coûtait cent milliards de marks.
Les banquiers allemands firent un massacre avec l’épargne des classes moyennes, laissant un grand nombre de personnes sans ressources, plantant profondément les graines de la haine contre les banquiers juifs et jetant les bases de l’arrivée des nazis au pouvoir.
Au second coup d’échecs, ce fut au tour des banquiers anglais de déployer leur talent. En 1924, Churchill devint « Chancelier de l’Échiquier » (ministre des Finances britannique). N’ayant pas d’affinités avec la finance, et sous les clameurs des banquiers londoniens, il s’apprêta à rétablir l’étalon-or. Churchill voulait ainsi défendre la position d’autorité de la livre sterling dans la finance mondiale.
Le 13 mars 1925, le Gold Standard Act fut votée. Le retour à l’étalon-or allait conduire à une livre forte, mais aussi à une perte de compétitivité du commerce extérieur britannique, et dans le même temps à une baisse des prix dans le pays, une diminution des salaires, une augmentation significative du taux de chômage et d’autres conséquences économiques encore.
Le grand maître que fut John Maynard Keynes est apparu à cette époque. Lors du Traité de Versailles en 1919, il représentait le Trésor britannique et s’opposa aux conditions sévères imposés à l’Allemagne, se disant prêt à démissionner en signe de protestation. Quand la Commission McMillan enquêta sur la faisabilité de l’étalon-or, Keynes, peu enthousiaste, insista sur les inconvénients d’un tel système, qu’il percevait comme « une relique barbare », une contrainte pesant sur le développement économique.
La prophétie de Keynes et le plan des banquiers se réalisèrent tous deux. Après le rétablissement de l’étalon-or, l’économie s’effondra. Le taux de chômage qui était de 3 % en 1920 passa à 18 % en 1926. Et la crise, c’est toujours ce que les banquiers cherchent à provoquer ! Ce n’est qu’en organisant des crises qu’ils peuvent faire passer leurs « réformes financières » et réclamer en urgence des modifications de la loi. Ils parvinrent ainsi à faire passer le Currency and Bank Notes Act en 1928. Cette loi permit à la Banque d’Angleterre d’émettre une quantité considérable de billets du Trésor, et ainsi faire sauter le plafond qui lui était imposé. Utiliser les obligations comme garantie pour émettre la « monnaie de la dette » et contourner ainsi les contraintes de l’or, les banquiers en rêvaient jour et nuit ! Quelques semaines après l’adoption de la loi, la Banque d’Angleterre émit 260 millions de livres adossées à la dette. La nouvelle loi autorisait la Banque d’Angleterre, en cas d’urgence, à émettre sans limite des livres basées sur la dette. Il suffisait que le Trésor et le Parlement approuvent. Le pouvoir quasi-illimité de la Fed d’émettre de l’argent échut finalement aussi à la Banque d’Angleterre.
Le troisième coup d’échec consista à tondre les moutons une nouvelle fois. Après la réunion secrète de 1927, cinq cents millions de dollars-or furent évacués des États-Unis, en raison de la politique de taux bas. Quand la Fed releva soudainement ses taux d’intérêt en 1929, apparurent un déficit de réserve d’or et l’impossibilité d’étendre efficacement le crédit. Le mouton robuste appelé « USA » fut ébranlé, blessé et perdit beaucoup de sang.
Dans cette catastrophe économique sans précédent, seuls quelques initiés savaient que la plus incroyable spéculation de l’histoire des États-Unis allait bientôt s’achever ; au moment opportun, ils vendirent toutes leurs actions et acquirent des obligations d’État. Ces rares initiés entretenaient des relations étroites avec les Rothschild. Les personnes extérieures à ce cercle ne furent pas épargnées, pas même les très riches. Ce cercle comprenait J. P. Morgan et Kuhn, Lœb & Co., ainsi que des « clients privilégiés » triés sur le volet.
Les biens de Joe Kennedy [le père du futur Président des Etats-Unis – n.d.e.] furent multipliés par 25, passant de quatre millions en 1929 à cent millions en 1935. Bernard Baruch vendit toutes ses actions et acquit des obligations d’État. Henry Morgenthau, quelques jours avant le mardi noir (le 29 octobre 1929), se précipita chez Bankers Trust et ordonna que sa compagnie soit vendue dans les trois jours pour soixante millions de dollars.
Plusieurs décennies après les faits, il paraît légitime d’être admiratif devant l’intelligence planificatrice de ces banquiers ! Ils constituaient sans aucun doute le groupe sociologique le plus rusé de l’Histoire ! Ces calculs et ces combines d’une précision sans pareil, ce culot et cette absence de scrupules pour jouer avec le monde, tout cela est tout bonnement incroyable ! Encore aujourd’hui, la plupart des gens ne parviennent pas à admettre que leur sort repose entre les mains d’une poignée de banquiers. Ces derniers, quand ils eurent tondu assez de laine, estimèrent que la monnaie bon marché de Keynes pouvait devenir la nouvelle moissonneuse de richesse. Une nouvelle saison des récoltes s’ouvrait sous les auspices du New Deal.
« La guerre des monnaies
La Chine et le nouvel ordre mondial »
par Hongbing Song
Paris, 2013, éditions Le Retour aux sources
2007, première parution en Chine
© Hongbing Song, 2007 et Editions (Le retour des sources), 2013
photos : © Nicolas Rousseaux
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