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Décoder l’entreprise (3) : Ressorts cachés
Et si… Une série de réflexions sur notre capacité à décoder les signes visibles et invisibles produits par l’entreprise. Suite de notre série de réflexions sur la capacité à décoder les signes visibles et invisibles produits par l’entreprise.
Au cœur de l’individu et de ses relations
A force de quêter sans fin le Graal de la performance, les organisations s’aperçoivent aussi que les sources d’un résultat, que celui-ci soit excellent ou catastrophique, peuvent résider dans des recoins moins évidents, moins mesurables, moins clairs, moins visibles car le plus souvent enfouis au cœur des individus.
Ressorts cachés : l’individu
Que, dans notre économie en voie de tertiarisation, le poids des hommes ne soit plus seulement résumé qu’à des bras musclés, une force physique, malléable, transportable, c’est une évidence. Car dorénavant, le bon collaborateur n’est plus seulement un collaborateur en bonne santé, mais bien un collaborateur motivé.
Là encore, attention à ne pas limiter le regard du décodeur posé sur la motivation que sur des facteurs visibles de réassurance collective (règles administratives, degré de supervision, type de hiérarchie, conditions de travail, rémunération globale, circulation de l’information). Tous ces facteurs, liés à l’environnement et à l’organisation du travail, ne rassemblent que des éléments essentiellement « protecteurs ». Ce sont des facteurs répétitifs ou stimulants : il faut sans cesse les alimenter, les valider. Ne comprendre la motivation des êtres humains par le seul filtre de la stimulation, c’est là aussi ne décrypter l’organisation que par d’uniques lunettes appliquées aux leviers physiques (montant d’une prime, place dans l’organigramme, statut social, photo dans le journal interne, taille du bureau, fauteuil avec de larges accoudoirs…).
D’autres facteurs de motivation individuelle, aux effets exponentiels (contrairement aux précédents), existent mais de manière moins évidente, car le plus souvent liés au contenu du travail, plutôt qu’à son contenant. Eléments qui touchent au développement personnel (accomplissement du potentiel, reconnaissance, qualité du travail, niveau de responsabilité dans les processus de décision, degré d’avancement, formation) ils concourent à la “réalisation” de chaque individu, à la fonction créatrice. Ce sont des facteurs « moteurs » pour lesquels le sens de l’action, sa finalité, sa signification apparaît comme déterminant.
Cette double approche, fondée sur un équilibre entre le protecteur (l’huile) et le moteur (l’essence), échafaudée par Frederick Herzberg en 1959, comporte l’immense avantage de ne pas proposer un seul modèle culturel de performance, mais au contraire, de suggérer les pièces d’un puzzle délicat : à chacun de faire vivre son échiquier organisationnel en fonction de ses ressources, des circonstances et de la stratégie.
Bienvenue dans le monde du subtil, de l’indirect, du flou, du « pas sûr »…
Mais que serait la grammaire sans conjugaison ? Que serait l’individu sans les autres ?
Ressorts cachés : les relations
L’ensemble des relations interpersonnelles et collectives (entre collègues, entre supérieurs et subordonnés, entre équipes, départements, métiers, siège et filiales, fonctionnels et opérationnels,…) contribue à la constitution du contrat de confiance intérieur à l’organisation.
La qualité et l’efficacité de ce contrat ne dépendront pas seulement du rapport entre autorité et participation… que ce rapport soit autocratique, paternaliste, consultatif, participatif, délégatoire, ou même abdicataire (le recours aux typologies, comme aux modèles ou stéréotypes, dans ce cas de figure aussi, apparaît vain). La nature du contrat au sein d’une organisation dépendra des rôles joués par cinq variables, telles que les a définies le sociologue Talcott Parson, fondateur du département des relations sociales à Harvard.
Variables relationnelles :
Emotionnellement chargées | ou | Emotionnellement neutres |
Diffuses | ou | Spécifiques |
Universelles | ou | Particulières |
Fondées sur le statut ou l’origine sociale | ou | Fondées sur la réussite ou l’accomplissement |
Orientées vers l’individu | ou | Orientées vers le collectif |
A ces cinq variables correspondent cinq questions qui permettent de décrire plus précisément les relations à l’intérieur d’une organisation :
- Sont-elles plus tournées vers une forme d’amitié ou bien concentrées dans le sens du professionnalisme ou du business ?
- Sont-elles marquées par une multiplicité de dimensions, comme celles qui réunit les membres d’une famille, ou bien sont sont-elles spécifiques, comme celles qui unissent un fournisseur et son client ?
- Sont-elles partagées d’une manière identiques au sein de l’entreprise, quelle que soient la fonction considérée, ou bien, particulières à des situations ou des individus ?
- Sont-elles liées à des modes de reconnaissance/récompense qui donnent davantage d’importance au statut social ou à l’origine (naissance, famille, diplôme…), qu’à la réussite ou l’accomplissement individuel ?
- Sont-elles dépendantes des intérêts individuels ou bien des intérêts collectifs ?
Mais peut-on encore parler de système « plus ou moins organisé », selon que le Tout s’impose aux Parties, ou inversement ? L’idée de l’organisation, système rationnel fermé, a vécu.
Dans les relations et les croisements entre mondes sociaux, l’intensité, la fréquence et le volume de l’interaction compte désormais davantage que la qualité ou la nature des ensembles finis qui composent le tissu de l’organisation.
Raccorder les dimensions invisibles et visibles
Comment reconnaître, identifier, mesurer les liens qui raccordent les dimensions visibles et invisibles d’une organisation ?
Longtemps, dans les structures de types pyramidales, les liens étaient simplement hiérarchiques et suivaient des flux d’information verticaux. L’apparition des organisations de type matriciel a complexifié la gestion de ces flux. Selon que la priorité du schéma choisi est donnée à l’équipe, au produit, au projet, à la fonction ou au pays… une foule de liens en découlent, plus ou moins bien suivis.
Un nouveau mode de gestion des liens entre les dimensions visibles et invisibles apparaît néanmoins depuis une dizaine d’années, à partir, en particulier des percées qualitatives opérées par l’ingénierie informatique et le génie industrielle de production : la gestion par les processus.
Là où la procédure est rigide, le processus est souple… L’une est incontournable, l’autre est transgressable.
Dans le monde bancaire, par exemple, la nécessité vitale de garantir la continuité et la qualité du lien entre le client de base et l’administration du back office, tout en accélérant les flux entre ces deux extrémités, pousse les dirigeants à focaliser l’organisation autour de la gestion de chaînes transversales. Les directeurs ou chefs de processus ont alors tout pouvoir pour orchestrer ces liens, y compris face aux directeurs fonctionnels ou opérationnels de l’organigramme « officiel ».
On distingue six grands types de processus :
- Les processus de management de la vision/mission de l’entreprise, des stratégies, des priorités, des objectifs, des méthodes de communication dans l’entreprise, des méthodes de traitement de l’information, des méthodes de contrôle des opérations (activités de la direction, de la gestion, des systèmes d’information, de la communication….)
- Les processus de management des ressources : humaines et matérielles (activités des services de ressources humaines, des achats, d’approvisionnement, de réception marchandises…)
- Les processus de management de la relation client, processus de détermination du besoin et de la satisfaction des clients (activités des services marketing, commercial, une partie des activités du service qualité…)
- Les processus de réalisation des produits et/ou services (activités de production, conditionnement, livraison…)
- Les processus de support à la réalisation (activités de contrôle, maintenance, … )
- Le processus d’amélioration continue (audits, actions correctives et préventives, analyse des mesures faites)
Le processus assure le lien et l’incarnation continue entre la structure et les systèmes relationnels. Il est mu par deux principes :
- le principe de cognition (processus de la connaissance : perception, émotion, action, formation)
- le principe de régulation (jusqu’à l’autorégulation) Conséquence à venir de ces organisations par processus, une meilleure maîtrise des mouvements et des développements de l’innovation dans l’organisation.
Nicolas Rousseaux
A suivre
Episode n°4 – Analyse des écosystèmes
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