Séries
Décoder l’entreprise (4) : Analyse des écosystèmes
Et si… à la vision mécaniste de l’organisation (contrôle – commande) fondée sur la division des tâches et le séquencement des opérations, se joignait une vision systémique ou intégrée fondé sur les relations, les réseaux, la synthèse, la durée, la qualité, l’influence, les partenariats,… Suite de notre série de réflexions sur la capacité à décoder les signes visibles et invisibles produits par l’entreprise.
Les codes : un seul et même capital multiforme
Tous les problèmes seraient donc liés entre eux !
Comment faire vivre ensemble ces deux visions de l’organisation ? Le monde physique, cartésien, et le monde des sciences de la vie, écologique.
Cesser d’opposer l’homme à la machine
En cessant tout d’abord d’opposer l’homme à la machine. On a longtemps prôné l’avènement du « capital humain », moteur incontournable de la future performance des organisations, sésame censé nous délivrer de la financiarisation excessive de ces dernières décennies. Mais ce credo là, si noble soit-il, correspond-t-il vraiment à la nouvelle donne du capitalisme ? Non. Du fait de l’équilibre à trouver entre la mesure mécaniste et l’énergie systémique au sein de nos organisations, le capital qui comptera sera celui de l’organisation dans son environnement, un capital relationnel.
Mais tout ceci est il bien nouveau ? Aristote associait déjà la substance et la forme. L’une ne peut exister sans l’autre, et réciproquement. Comme l’esprit et la matière.
Concrètement, si nous nous contentons de disséquer le système d’une organisation, nous en cassons les liens, et donc les interactions entre les différentes parties de l’organisation étudiée. Le tout ne consiste plus seulement en la somme de ses parties.
Dorénavant, le code de l’organisation se mesure, s’apprécie, se modifie aussi dans les connexions entre ses parties. C’est en se concentrant sur les principes d’organisation qu’on peut désormais mieux comprendre le tout, pas en se contentant de trier, jauger et classer ses composants.
Réapprendre à relier, à se connecter, à travailler ensemble,… grand défi de demain.
L’organisation, écosystème vivant
Les biologistes distinguent aujourd’hui trois types dissemblables de systèmes vivants : les organismes, les parties d’organismes et les communautés d’organismes. Tous ces types étant fortement interdépendants. C’est l’étude des chaînes et cycles alimentaires qui a permis de poser l’importance fondamentale de cette imbrication. Chaque entreprise dans son marché, fait partie d’un écosystème complexe, elle constitue un réseau en elle-même relié à de multitudes d’autres réseaux (concurrents, fournisseurs, clients, prospects, écoles, médias, retraités,…)
Mais alors, comment arriver à y voir clair si toutes les parties sont reliées entre elles dans un tissu infini, souvent invisible et, qui plus est, se renouvelle chaque jour ?
Toute analyse ne peut donc être qu’approximative. Le regard analytique qui s’annoncerait complet et définitif prendrait les allures d’un exercice vain dont on devrait apprendre à se méfier. Louis Pasteur, lui même, ne cultivait-il pas cette méfiance tout en la sublimant en persévérance : « la science avance au gré de réponses provisoires à une série de questions de plus en plus subtiles se rapprochant peu à peu de l’essence profonde des phénomènes naturels ».
« Tout s’écoule » disait Héraclite.
L’entreprise devient un système ouvert, donc interprétable de multiples façons, qu’on soit existentialiste, Kafkaïen ou théologien…
Le gouvernement des organisations n’est pas et n’a jamais été une science exacte. Le gouvernement est un art. Son objectif n’est pas de s’arc-bouter à l’infini sur la précision d’une décimale, mais d’avancer sans discontinuer.
Pluridisciplinarité des décodeurs
Tout déchiffrage d’une organisation passe par les filtres d’analyse classique de la réalité :
- Le factuel
- Le jugement
- L’expérience
- La comparaison
Pourtant, en matière de culture d’entreprise, plusieurs grandes écoles d’analyse ont orienté ces filtres à travers des prismes de lecture ethnocentriques que l’on peut représenter par grande zone géographique intellectuelle.
Les prismes géographiques du décodage :
Les écoles d’analyse | Filtre de lecture privilégié | Sujet de recherche | Auteurs clefs |
Française | Sociologie, histoire | Réalité souterraine, milieu ouvrier, bureaucratie, idéologie,… | Crozier, Etchegoyen, d’Iribarne |
Hollandaise | Statistique | Mesure des écarts, gestion interculturelle,… | Hofstede, Trompenaars |
Anglo-saxonne | Ethnologie, psychologie | Comportement, groupes,… | Schein,Porras,Doz |
Japonaise | Processus | Intégration,… |
Comment réconcilier de tels décalages dans les modes d’interprétation de la réalité ?
Par une approche pluridisciplinaire ! Dans ce domaine également, les analystes anglo-saxons, nourris au biberon du campus « ouvert » sur le monde ont pris une sérieuse longueur d’avance sur nos chapelles continentales.
Reste à réconcilier aussi les modes de représentation, la forme et le contenu ! Une recommandation sous forme de distinction :
- Mesurer les structures quantitativement afin de les comparer au plus juste
- Représenter qualitativement les configurations de relations afin de mieux cerner les déséquilibres et les éléments non linéaires.
Les structures : « incarnation physique du système d’organisation »
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- Comportements
- Sources de résistances
- Sources de créativités
- Niveau de flexibilité (boucles de feed-back, rapport à la norme, niveaux de stress, seuil de tolérance à la fluctuation, stratégies de résolution de conflit, niveau de diversité)
- Points de stabilité/d’instabilité
- …
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Les relations : « caractéristiques essentielles du système d’organisation »
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- Identité
- Systèmes de communication (coordination des comportements)
- Réseaux
- Cycles de vie (vs. linéarité)
- Nouvelles connexions
- Couplages structurels avec l’environnement
- Logiques symbiotiques internes (coopérations)
- …De nouvelles règles d’or du décodage des organisations apparaissent ainsi à l’horizon. On les résumera sous le triptyque suivant :
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- Pluridisciplinarité des lectures
- Intégration des systèmes (urbi et orbi)
- Rééquilibrage entre les flux et les données brutes
Nicolas Rousseaux
A suivre :
Episode n°5 – Sens, Présence, Existence
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