Chroniques

La Chine de Xi : tournevis et carnet de chèques

Posted: 26 février 2015 à 7:32   /   by   /   comments (0)

Après avoir rattrapé, en trente ans, trois siècles de retard, la Chine se retrouve aujourd’hui face au monde comme avec son propre destin. Impériale sans être impérialiste sauf envers quiconque touchera aux marches de son immense territoire, accrochée à ses racines tout en restant profondément adaptable, le futur numéro un mondial voit monter en son sein de tumultueux bouleversements. Ils touchent aux équilibres subtils que cette civilisation a su entretenir, malgré replis sur soi, soubresauts, conquêtes commerciales et révolutions en tous genres. Équilibres entre l’absence de Dieu et un pragmatisme farouche, entre l’absence de lois et les conditions minimum du vivre ensemble.

Lao Tse, Confucius, Bouddha et le parti communiste réussiront-ils à faire passer ce géant de la modernité féodale à la modernité tout court ? Deng Xiao Ping avait réussi l’impensable : concilier le despotisme politique et le libéralisme économique. Depuis décembre 1978, la Chine a retrouvé son rang, mais est-elle pour autant sortie de ce purgatoire idéologique, mariant à coups de génie, Marx et Guizot. Dans quel état ce peuple va-t-il s’extraire de ses propres 30 glorieuses ? Épuisé, pollué, cadenassé, contaminé ? Corrompu jusqu’à la moelle, le système va-t-il survivre au pillage à grande échelle de ses forces vives ?

Derrière la réussite d’un bond en avant impressionnant, une masse croissante de fractures fragilise au plus haut point les fondamentaux socioculturels du pays : fuite des cerveaux (les diplômés ne reviennent plus à la maison), jeunesse prise à la gorge (cadenassée entre les préceptes confucéens et l’impossible indépendance matérielle), bulle immobilière et endettement des provinces, catastrophe écologique et sanitaire, éducation privatisée à l’excès, réapparition des césures entre classes sociales (urbains, paysans et migrants de l’intérieur), réseaux sociaux hyper surveillés, départs des expatriés par centaines, croissance à la baisse. De partout, la jonque fait entendre ses craquements.
Parfaitement au courant de ces germes de révoltes et de contestation qui pullulent aux quatre coins du pays, le nouveau pouvoir en place sert la vis. Avec une sévérité prompte qui se voudrait exemplaire. A commencer par la fonction publique : réduction des voyages à l’étranger à un seul déplacement, promotions internes bloquées si les enfants font leurs études dans un autre pays ou si l’époux réside à l’étranger, retour des écoutes téléphoniques, interdiction des banquets, circulation alternée des véhicules administratifs, etc. La chasse aux profiteurs est lancée, à la chinoise, sans état d’âme. Xi jinping n’y va pas de main morte. À la tête du comité national de sécurité, sorte de cabinet noir entièrement à sa main, il prend tous les pouvoirs, comme seul Mao Tse Toung osat le faire avant lui. Il place à la tête de l’état-major un ami d’enfance. Adepte du contre-pied, totalement imprévisible et secret, il a gagné la première manche, au couteau, entre clans du parti. Hissé à la fonction suprême, la lutte continue de plus belle. Symbole des « élitistes » (les fils de la nomenclature maoïste, partisans d’un rêve chinois réincarné et vigoureux), il affronte chaque jour les tenants du « populisme » (les nouveaux riches du parti, partisans d’une harmonie chinoise plus solidaire, à la manière de son prédécesseur, le terne Hu Jin Tao).

Une guerre sans merci. On en vient à parler d’arrestations collectives, d’assassinats (l’ex président, Jiang Zemin, lui-même, protecteurs des shanghaiens serait sur les listes). L’affaire Bo Xilai ? Une mise en bouche qui précède de bien plus sévères mises au pas, parmi les corrompus les plus ostentatoires. Des hauts fonctionnaires deviennent soudainement injoignables. Les autres se disent retenus en séminaires, nuit et jour, week end inclus.
Ce grand nettoyage, discret pour l’instant, suffira-t-il à remettre la Chine sur la voie d’une croissance vertueuse et continue ? Non, car le ver à pénétré le fruit jusqu’aux pépins. L’absence de morale publique, l’enrichissement sans cause, le manque d’état de droit, l’inconsistance absolue du cadre contractuel, l’insécurité alimentaire, les taux vertigineux de pollution (à Beijing, trois fois la dose maximale), la médiocrité du niveau de l’enseignement supérieur renforce les effets du chacun pour soi. Le mieux, si possible, étant de placer une partie de ses avoirs dans une banque étrangère ou dans l’immobilier hors du pays. Et de ne jamais quitter son logement sans avoir son passeport sur soi.

La Chine est et restera éternelle, dira-t-on. Certes, elle a connu de pires époques et reste aujourd’hui une puissance où tous les grands groupes de la planète se retrouvent, où les infrastructures suivent (contrairement à l’Inde), ou tous les corps de métier sont représentés, où la stabilité fiscale n’est pas un vain mot (contrairement à l’Europe). Mais la Chine va évoluer. Inexorablement. Comme elle l’a toujours fait, que ce soit sous la contrainte des événements ou sous la férule de ses empereurs. Cette fois-ci, le défi est à la hauteur des plus grands dirigeants de son histoire, que ce soit celui qui unifia le pays, il y a 2.000 ans ou celui qui fonda la première république en 1911 et marqua le début d’une décolonisation douloureuse, mais tellement souhaitée. Car bien plus que de transformer ce peuple, il s’agit qu’il se métamorphose lui-même. Moralement et juridiquement.

Moralement. Derrière le regain remarquable de la religion chrétienne dans ce pays aux syncrétismes sophistiqués, se noue une demande croissante de distinction durable entre le bien et le mal. Comme si les tergiversations et autres multiples interprétations de la réalité, force séculaire de la Chine, se changeaient en poids toujours plus lourd à soulever. Comme si l’intégration de son nouveau contexte, non plus régional mais mondial, rendaient les Chinois plus désireux de s’assurer un avenir, pour ne plus seulement subir les caprices d’un chef, d’un parti, d’une sagesse fluctuante et malléable au gré des circonstances.

Juridiquement. Derrière la difficulté à choisir entre un état de droit de type romain ou anglo-saxon, se révèle une véritable aspiration à un référent juridique unique, solide et durable. Les récents débats sur la constitutionnalité des lois en Chine, sur le droit de l’environnement, de la consommation, de la santé, des associations, sur l’émergence d’un droit notarial marquent la volonté du peuple de se garantir des vicissitudes de l’existence ou d’éviter les oukases et autres passe-droit.

Ni Dieu, ni loi ! Voici comme on décrivait la Chine hier. Une sorte d’anarchie millénaire, fatalité géologique, gérée par une succession de mains de fer autonomes, incontrôlables, aux intérêts croisés, écosystème impénétrable et incontournable à la fois dont l’inertie fait que le monde désormais s’adapte davantage à elle qu’elle ne daigne s’abaisser au niveau des autres. La Chine numéro un mondial peut-elle encore espérer vivre d’elle même ? Afin de garder la mesure du monde qui attend d’elle plus qu’elle n’a jamais donné, il lui faudra réinventer son plus petit dénominateur commun. Quitte à passer sur le corps de certains de ses grands ancêtres, fussent-ils enterrés dans les montagnes du Shaanxi ou embaumés sur la place Tien Anmen.

Nicolas Rousseaux

 

photo : © Nicolas Rousseaux

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