Séries

Décoder l’entreprise (2) : Mystère des rites

Posted: 11 juin 2016 à 5:10   /   by   /   comments (0)

Et si… l’on remontait à la source de ce que l’on appelle communément « la dynamique de groupe ». Suite de notre série de réflexions sur la capacité à décoder les signes visibles et invisibles produits par l’entreprise.

De la dynamique à la culture

C’est sur le campus du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, dans les laboratoires du professeur Kurt Lewin que naissent les premiers concepts de « dynamique de groupe » . Connu aujourd’hui sous l’acronyme OD, pour « Organization Development », ce concept expose le lien qui unit plusieurs personnes censées travailler sous le même toit et l’ambition commune censée les fédérer ; l’efficacité collective devant, en conséquence, en résulter.

De nombreux chercheurs ont démultiplié ce lien « magique » pour aboutir à de multiples applications et méthodologies, de la science du comportement (Behavioural Science) à l’organisation apprenante (Learning Organization). Crys Argyris, Warren Bennis, Peter Senge, Charles Handy,… et bien d’autres.

L’endoctrinement chez IBM et General Electric

Parmi eux, Edgar Schein, celui supposé être l’inventeur du concept de culture d’entreprise (corporate culture). C’est en enquêtant sur les centres d’ « endoctrinement » (terme officiel employé à l’époque, au début des années 60) de grands groupes comme IBM ou General Electric que ce chercheur en psychologie sociale développe la notion de strate culturelle.

Strate Définition
1. Objets Structures et processus visibles de l’organisation
2. Valeurs adoptées Stratégies, buts, philosophies (justifications adoptées)
3. Suppositions sous jacentes Croyances inconscientes (allant de soi), perceptions, pensées et sentiments (source ultime des valeurs et de l’action)

Dans l’un de ses ouvrage clefs, « Organizational culture and leadership », il explique les ingrédients constitutifs de la culture d’entreprise, ce qui permet de préciser plus en détail les codes visibles de ceux qui le sont moins au sein d’une organisation.

1. Les objets (ou artefacts) :

A la surface de l’organisation apparaissent de nombreux objets ou phénomènes que tout un chacun peut voir, entendre, sentir dès sa première prise de contact (voir notre introduction). Le langage, la technologie, les produits, les créations, la façon de s’habiller, la manière de s’adresser à son collègue, d’exposer ses émotions, les mythes et les histoires de l’entreprise, les valeurs affichées, les cérémonies et rituels observables, etc. Aisément identifiables, ces objets ou phénomènes sont beaucoup plus délicats à déchiffrer. Aussi imposantes soient-elles, a-t-on jamais réussi à percer le mystères des pyramides ?

2. Les valeurs adoptées :

Seules les valeurs susceptibles d’une validation sociale ou physique et transmises de manière continue en actions et solutions se transforment en croyance. Par contre, les valeurs qui font référence à des éléments de l’environnement ou bien à des a priori moraux ou esthétiques deviennent par définition moins contrôlables, donc plus difficilement opérantes. Edgar Schein indique à ce stade que « c’est l’expérience collective partagée qui valide la valeur ». Les prophètes n’auraient-ils donc pas droit de cité dans le monde des organisations ? Le chercheur ne s’égare pas dans ces extrémités (voir ses travaux de recherche sur le leadership et les mécanismes d’implantation culturelle) mais limite leur « utilité » à celles de « réducteurs d’incertitude », ce qui est d’ailleurs un des rôles majeurs joué par les fondateurs et les leaders charismatiques.

3. Les suppositions sous jacentes :

Ce faisceau de croyances enfouies dans l’inconscient collectif rassemble les fondations d’un collectif, sa base, son socle. D’où l’immense difficulté à le confronter, à le faire évoluer, à le changer sauf, parfois, en cas de crise grave. C’est au cœur de cette structure cognitive et interpersonnelle que se nichent les forces (et les faiblesses) d’une culture d’entreprise. L’esprit humain a besoin de stabilité cognitive. Sans celle-ci, il développera automatiquement anxiété et autodéfense.

C’est la congruence entre ces trois ingrédients, objets, valeurs et suppositions, qui construit la force identitaire d’une organisation.

On distinguera ainsi dans l’analyse (voir ci-dessous) les valeurs qui s’articulent correctement avec les croyances profondes, des valeurs qui ne sont l’effet que d’une rationalisation ou bien d’une aspiration vers un futur de meilleure qualité.

On distinguera de la même manière les valeurs constatées des comportements observés (objets ou artefacts). Les collaborateurs peuvent dire et affirmer clairement… mais ne pas forcément faire pour autant !

La bombe éditoriale que fut « Le prix d’excellence » (In Search of Excellence) en 1982 co-écrit par Tom Peters et Robert Waterman, marque l’apparition de la modélisation des cultures d’entreprise. Les deux idées marquantes de ce best seller mondial reposent sur deux types de leviers :

  • La mise en place de processus simples d’amélioration
  • La répartition de la prise de décision à tous les niveaux de l’organisation

Les controverses variées qui ont entaché durablement la notoriété de cet ouvrage (falsifications de données, performances médiocres de sociétés soit disant exemplaires,…) démontrent la limite d’une modélisation à outrance du codage culturel appliqué aux organisations.

Place à la démodélisation !

Les vagues croissantes de fusions/acquisitions, les tendances de fond à la délocalisation des outils de production et de service, la recherche éperdue de nouvelles valeurs ajoutées pour conforter des marges éreintées, la globalisation incontrôlée des marchés financiers, la gestion de crise comme état permanent, la complexité croissante des réseaux font imploser les modèles classiques de la performance. Chaque organisation se retrouve désormais seule, face à elle-même, à ses tentations, à son héritage, à son ambition… A elle d’inventer ou de ré-inventer son propre modèle, son code de réussite.

Plus question, dans ces conditions de ne se concentrer que sur l’architecture apparente. D’autres ressorts sont à activer. Ils relèvent de deux dimensions : celle de l’individu, celle des relations entre les individus.

Nicolas Rousseaux

A suivre :

Episode n°3 – Les ressorts cachés

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