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« Notre sort ne résistera pas à notre volonté »

Posted: 4 mai 2015 à 12:23   /   by   /   comments (0)

Comment Bonaparte est devenu Napoléon ? En repoussant toutes les limites connues pour faire de sa vie un destin, un rêve. Le 14 avril 1802, le Premier consul se fait présenter Chateaubriand qui vient de publier le « Génie du Christianisme ». L’écrivain raconte la scène.

« Bonaparte m’aperçut et me reconnut, j’ignore à quoi. Quand il se dirigea vers ma personne, on ne savait pas qui il cherchait ; les rangs s’ouvraient successivement ; chacun espérait que le Consul s’arrêterait à lui : il avait l’air d’éprouver une certaine impatience de ces méprises. Je m’enfonçais derrière mes voisins ; Bonaparte éleva tout à coup la voix et me dit : « Monsieur de Chateaubriand ! » Je restai seul alors en avant, car la foule se retira et bientôt se reforma en cercle autour des interlocuteurs. Bonaparte m’aborda avec simplicité : sans me faire de compliments, sans questions oiseuses, sans préambule, il me parla sur-le-champ de l’Égypte et des Arabes, comme si j’eusse été de son intimité et comme s’il n’eût fait que continuer une conversation déjà commencée entre nous. « J’étais toujours frappé, le dit-il, quand je voyais les cheiks tomber à genoux au milieu du désert, se tourner vers l’Orient et toucher le sable de leur front. Qu’était-ce que cette chose inconnue qu’ils adoraient vers l’Orient ? ».

Bonaparte s’interrompit, et passant sans transition à une autre idée : « Le christianisme ! Les idéologues n’ont-ils pas voulu en faire un système d’astronomie ? Quand cela serait, croient-ils me persuader que le christianisme est petit ? Si le christianisme est l’allégorie du mouvement des sphères, la géométrie des astres, les esprits forts ont beau faire, malgré eux ils ont encore laissé assez de grandeur à l’infâme. »

Bonaparte incontinent s’éloigna. Comme à Job, dans ma nuit, un esprit est passé devant moi ; les poils de ma chair se sont hérissés ; il s’est tenu là : je ne connais point son visage et j’ai entendu sa voix comme un petit souffle [Job, V, 15-16]. (…) Je remarquai qu’en circulant dans la foule, Bonaparte me jetait des regards plus profonds que ceux qu’il avait arrêtés sur moi en me parlant. […] Fontanes et Mme Bacciochi me parlèrent de la satisfaction que le Consul avait eue de ma conversation : je n’avais pas ouvert la bouche ; cela voulait dire que Bonaparte était content de lui. »

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« Un esprit est passé devant moi »

 

Source : « Bonaparte », biographie, par Patrice Gueniffey, ed.Gallimard, 2013

Photo : © Nicolas Rousseaux

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