Expéditions

« Los » Rolling Stones à Cuba

Posted: 27 mars 2016 à 7:58   /   by   /   comments (0)

Et si… la soucoupe volante de la « Rolling Stones Inc. » avait traversé le ciel de Cuba, tel un OVNI trop pressé. Premier concert de rock géant depuis plus de 50 ans. Mais, question musique, le Cubain reste surprenant… et inventif.

Le concert déconcertant

De Nicolas Rousseaux, à La Havane

A 20h30, Keith Richards, suivi comme son ombre de Ron Wood, puis de Mick Jagger se précipitent sur scène pour effectuer le rituel désormais attendu par des millions de fans de par le monde. Deux riffs pointus, sanglants, serrés, le signal de la déferlante électrique qui va s’abattre plus de deux heures durant. « Jumpin Jack Flash » ouvre la cérémonie, sans fioritures,… ni mode d’emploi.DSC09945

Avec plusieurs centaines de milliers de cubains, âgés de 6 mois à 100 ans… et plus, nous sommes arrivés là, dans le parc sportif de la « Ciudad Eportivo » au sud de La Havane, ce vendredi 25 mars 2016. Le premier concert de « Los » Rolling Stones à Cuba, entièrement gratuit.

Le son stonien tombe bizarrement comme un cheveu dans la tortilla cubaine

La tête de mort de Keith, et ses 73 fringantes années, passent à côté de la plaque. La performance des pépés du rock laissent les Cubains muets, indifférents. L’enchainement quasi immédiat avec « It’s only rock (but I like it) » fait un flop et nous montre un Mick en Monsieur Loyal flairant l’affaire mal engagée. Signe inhabituel chez le bonhomme,… voilà qu’il se met à faire des phrases sans fin (genre castriste) entre chaque morceau, dans un espagnol manifestement décrypté sur prompteur.

Heureusement, la ville a été prise d’assaut par des fans arrivés du monde entier. Plus une seule des « casas particulares » à louer à 10 kilomètres à la ronde. Drapeaux québécois, britanniques, sri lankais (!), vénézuéliens, portent hauts. Mais ici, le speed, la nervosité, l’énergie féroce du rock ne veulent rien dire.

Premier concert de rock depuis la Révolution (Fidel Castro avait décrété le Rock n Roll, rejeton dégénéré du capitalisme, trop turbulent et de mauvaise influence sur les oreilles des jeunes cubains), cette journée mémorable va-t-elle finir en fiasco ?

Keith lance son riff, la caravane passe…

J’avise alors un gaillard de deux mètres de haut qui regarde la scène avec un flegme tout britannique (le monde à l’envers). On discute. Il a 52 ans. Cet électricien m’avoue que les jeunes, ici, n’ont jamais entendu parler des Stones. Lui-même ne connait le groupe qu’à travers une chanson : « I can’t get no Satisfaction ». C’est tout.

Seules, quelques cubaines d’un certain âge commencent à se déhancher timidement, mais rien d’exultant. Quant aux gamins, les bras croisés, ils sont sur Mars. Qu’est-ce donc que toute cette agitation ?

DSC09833Mais qui est ce type là-bas qui court sur scène dans tous les sens, qui mouline des bras comme un pantin ? Il est malade ? Il a la danse de Saint Guy ?

Le courant ne passe pas. Mick continue sa quête : « Are you happy ? Yeah ! ». On enchaine. Le bulldozer stonien en a vu d’autres. La bonne humeur est heureusement de la partie, qualité première des Cubains, dont la sympathie et la gentillesse apparait en chaque circonstance, y compris ce soir-là. Tant qu’à faire, amusons-nous.

On n’efface pas 50 ans d’interdits et de blocus en 30 minutes. Le passé s’est invité à la fête. Cette soirée ne sera pas le Mur de Berlin des Caraïbes. Dans les restaurants et les bars de La Havane, la variété sirupeuse mexicaine et le rap espagnol bling bling font la loi, et ce malgré les interdits sévères qui empêchent toute utilisation d’internet sur l’ensemble du territoire, ainsi coupé du monde.

Vous ne rêvez pas. La danse des canards sur « Sympathy for the Devil » !

Mais, au bout de ce qui s’annonce être une absence de tête-à-tête entre le groupe et la foule, un premier déclic se fait sentir. Allez savoir pourquoi. Mystères des muses. Arrivent les percussions, remixées cubano, en intro de « Sympathy for the Devil ». Un dessin animé d’un diablotin rouge cramoisi est projeté sur les écrans. De toute façon, personne ne parle, ni ne comprend l’anglais. Par contre, les chœurs de « Sympathy for the Devil » font tilt. Et, là, vision totalement irréelle, je découvre des Cubains, de toutes générations, hilares, entamer une folle « danse des canards ». Vous ne rêvez pas ! La danse des canards sur « Sympathy for the Devil », la chanson maudite du Concert d’Altamont en 1969 (concert lui aussi gratuit… mais qui se termina dans un bain de sang) !

Du coup, en pleine guerre froide, on échappe de justesse à la crise des missiles. L’heure est au dégel. Chacun rejoint le cercle. Ambiance bon enfant, genre mariage du cousin Gaston. Les Cubains ont l’habitude du rationnement électrique, mais, là, le courant, certes alternatif, commence à circuler. Mick Respire. Keith s’en fout. Il a un p… de concert à labourer, et il fait des merveilles. Question respect, le bougre en connait un brin.DSC09865

Puis « Angie » passe de travers. Le maigre soufflé retombe. On enchaîne. Au suivant. Et là, deuxième secousse. La mayonnaise commence à prendre sensiblement. Le boss Jagger aborde le virage, tant bien que mal, cape de soie sur les épaules (le cirque Medrano, vous-dis-je !).

Alors, miracle, des dizaines de Cubains se mettent à chorégraphier ensemble, spontanément, le « Brown Sugar » des Stones en dansant, en rythme,… ce qui ressemble à un… « mambo » ! On danse, on danse, on danse, on ne peut  pas chanter, on ne comprend rien aux paroles, mais la musique est « sympa ». On rigole. Plaisir des corps. Le public « étranger » applaudit. Scène hallucinante. Le mambo sur « Brown Sugar » !

Un semblant de vibration transparait. Après le concert, je montre une vidéo de cette joie collective à des Cubains afin qu »ils m’expliquent cette forme de danse. Et eux de s’esclaffer : « nous, on appelle ça, la danse des vieux », du genre maisons de retraites de La Havane, lors d’un anniversaire animé ». Ah !… Humm….

Malgré les portes grandes ouvertes, des dizaines de milliers d’autres Cubains refusent d’entrer dans le Parc. Vaguement scotchés, ils restent accrochés aux hautes clôtures. Imperturbables, ils regardent. Mais quel est le sens de cette soirée ? Est-elle finalement si importante ? Pour la légende stonienne, oui. Mais pour les Cubains, dont la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté…

Et puis Mick dit « Buenas Noches ». Alors tout le monde s’en va

« Normal, le gars qui s’agite tout le temps, il nous a dit « bonne nuit ». Donc, on rentre à la « casa »… Le paquebot prend l’eau. Déjà fini ?

On a envie de leur dire : « Mais le rappel ! Le rappel, bon sang !!! Il va y avoir un rappel ! Ne partez pas encore ! »

DSC09934En effet, le groupe entame un splendide « You can’t get always what you want », lequel passe totalement inaperçu. Quant au “I can’t get no Satisfaction” qui clôt cet immense théâtre bizarroïde, il laisse le citoyen local totalement de marbre. Même pas pétrifié, ni secoué. Pas le moindre orteil qui frétille à l’horizon.

Il est 23 heures. Chacun de se presser, à la recherche de son bus ou de son taxi collectif. Les mômes vont se coucher. Les vieux carrosses américains des années 40, hors de prix, sont réservés aux touristes,

Che Guevara regarde-toi ! Ton peuple, las, a-t-il encore la force de prendre rendez-vous avec son histoire ? Première visite officielle d’un président américain sur le sol cubain depuis un siècle, Barack Obama était déjà reparti fissa en début de semaine. Reçu mollement par Raul, frère de Fidel, Obama traverser La Havane, ni vu, ni connu, Comble de la caricature, ou de l’hypocrisie, le Président cubain évite de lui serrer la main en public.

Le gap reste là, au cœur de la nuit cubaine, sur la chaussée défoncée

Les Cubains vivent et se nourrissent de la musique depuis des siècles. Cha cha, son, rumba, trova… Ils se parlent, ils se touchent, ils vibrent quotidiennement avec cette passion profonde, charnelle. Mais voilà, la soucoupe volante de la Rolling Stones Company a traversé le ciel de l’île, tel un OVNI. Après Obama sous la pluie, et une méfiance anti-américaine, palpable, chaque Cubain de se demander : « mais pourquoi ces gens s’intéressent-ils désormais tant à nous ? Que veut dire cette agitation ? Et après tout ça, que nous arrivera-t-il ? »

DSC09993Entre la puissance technologique, les écrans géants, le show sur mesure et les maisons en ruine, les murs délavés, un gouffre énorme prend forme. Enfermés dans les cadences infernales d’une tournée sud-américaine triomphale, le groupe en a oublié l’une de ses sacro saintes règles qu’il perfectionne depuis plus d’un demi-siècle : adapter, chaque soir, son programme en fonction des goûts du public local vis-à-vis de leur propre réservoir constitué de plus de 450 chansons. Mais à Cuba, terra incognata du rock n roll, l’impro a été totale, le choix et l’ordre des chansons hasardeux, pas assez callé sur l’ancrage historique et la culture musicale extrêmement exigeante de ce pays. Les Stones ont oublié de repasser par la case départ. Cuba n’est pas une île que l’on conquiert par la seule volonté d’un groupe, si mythique fut-il.

Alors, qu’avons-nous vraiment vécu ? Un début de quelque chose, mince, fragile, imperceptible, sans nul doute. Mais bien malin est celui qui  saurait dire quoi.

En plus de 50 ans de révolution, les Cubains ont appris à subir la marque du temps long. “It’s only rock n roll, and,… maybe, we did not dislike it”. Mais, hop ! T’as vu, t’as rien vu ! Ils sont arrivés, et pfuittttt…. Ils sont tous repartis.DSC09845

Sitôt les projecteurs éteints, promptement, les Moto Guzzi de la police embarquent les gloires du Rock vers leurs haciendas, à travers les routes défoncées, loin de la capitale, loin des masses, de « l’autre côté », sur les plages de sable chaud, sécurisées, immaculées et recluses.

Dans la chaleur moite de cette nuit obscure, je regarde les vitres fumées de ce cortège presque funèbre, blindé, coi, comme s’il allait finir sa route dans le Triangle des Bermudes.

« Non, tu n’as rien vu à la Havane ».

Circulez, circulez !

N.R.

Comments (0)

write a comment

Comment
Name E-mail Website