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L’Ottoman, clichés à part (1)

Posted: 16 août 2015 à 10:12   /   by   /   comments (1)

1.000 années de souveraineté sur toute la Méditerranée…

10 siècles qui ont aussi une fin

(Première partie)

 

D’où vient la peur du Turc ?

A partir du XIVe siècle, la puissance de l’Empire ottoman, qui va de Constantinople à la Grèce et aux Balkans, donne aux Chrétiens d’Occident une crainte durable de la menace turque.

FH000008 (3)C’est d’abord un étonnement : comment une obscure petite tribu seldjoukide a-t-elle pu devenir si puissante ? Mais c’est très vite la peur qui l’emporte, une peur largement soutenue par la cruauté des massacres commis et la mise à sac de villes comme Constantinople ou Otrante.

La Turquie va aussi rester le modèle du despotisme, sur lequel Montesquieu réfléchit. Selon lui, ce régime convient structurellement aux mahométans. Comme le monothéisme musulman et l’idolâtrie ne s’excluent pas, le Grand Seigneur est adoré de ses sujets, il est l’objet d’une espèce d’idolâtrie qui fait qu’ils le regardent comme un Dieu. Dans cette analyse politique, Le sérail est le lieu ultime du despotisme, forteresse remplie d’esclaves, « où les uns sont employés à garder les autres ».

 

Rejet… et fascination à la fois ?

Du harem à la tulipe, en passant par le tapis, La Sublime Porte obsède.

La fascination relève du folklore oriental : le harem fascine l’Occident, ce qui se traduit dans la peinture et la littérature.

Mais les voyageurs, les artistes qui se rendent à Istanbul font au retour circuler des images beaucoup plus justes de la civilisation turque, et les échanges commerciaux se multiplient. Les Turcs réclament étoffes vénitiennes, verreries, montres et horloges, tandis qu’ils exportent tapis et tulipes.FH000005 (5)

Le tapis turc va connaître un tel succès qu’il devient un exercice de virtuosité dans la peinture, au point que le nom des artistes peut servir à en établir une nomenclature. On parle ainsi de « tapis Lotto », de « Crivelli » à la décoration zoomorphe, de Memling dont le décor est fait de motifs à contour crochu, ou encore de tapis Holbein.

La folie des tulipes, plus connue, est un autre exemple de cette proximité des goûts et des emballements. Empire ottoman et Europe partagent la folie des tulipes jusqu’au krach boursier de 1636.

 

Une communication à sens unique ?

Les Ottomans refusent de pratiquer les langues étrangères. D’où des relations complexes en matière de politique étrangère avec l’Europe

Pour mieux connaître la Turquie, puisque les Ottomans ne pratiquent pas les langues étrangères, l’Occident met en place, au service des diplomates étrangers, des interprètes, les drogmans. En France, afin de remplir au mieux ces fonctions, Colbert crée en 1669, à l’initiative de la Chambre de commerce de Marseille, l’école des Jeunes de langue, future Ecole des langues orientales.

FH000007 (3)Les drogmans utilisent leurs compétences linguistiques dans les relations commerciales, apportent une assistance juridique à leurs compatriotes vivant dans l’Empire, servent d’intermédiaires avec les personnalités turques. Ils éprouvent une curiosité pour leur pays d’adoption qui leur inspire des traités techniques, des études érudites ou des œuvres littéraires, contribuant ainsi à une meilleure connaissance de l’empire. Antoine Galland (1646-1715), par exemple, premier traducteur des « 1001 nuits », a accompagné comme drogman et secrétaire l’ambassadeur de France Nointel à Istanbul cinq années durant, de 1670 à 1675.

 

La France, un allié objectif ?

Dès le XVIe siècle, la France entre dans un jeu ambigu, au point qu’Allemagne, Espagne, Pays-Bas et Italie accusent François Ier, d’être responsable de la victoire turque en Hongrie.

Il est vrai qu’après la défaite de Pavie, en 1525, où le roi fut fait prisonnier, on négocia avec les Turcs pour qu’ils ouvrent un front à l’Est contre la Hongrie, tandis que la France attaquerait Charles-Quint. Le Sultan propose même d’attaquer l’Espagne par la mer !

Présents en Europe centrale depuis cette victoire en Hongrie en 1526, les Turcs obligeraient désormais les Habsbourg à maintenir à l’Est des troupes qui manqueraient au front occidental tourné contre la France.

Dès 1535, le roi de France envoie un ambassadeur permanent à Istanbul. De son côté, Soliman le Magnifique comprend qu’il lui faut un allié politique à l’Ouest, et fait écrire que « Le roi de France est comme un frère de l’Empereur des Turcs ».

Une alliance non sans nuages – les intérêts des deux partis divergent souvent.

En s’alliant avec les Infidèles, François a brisé le rêve médiéval de l’unité chrétienne, mais au bénéfice de la sauvegarde du royaume face à la menace habsbourgeoise. « Je ne puis nier, déclara-t-il un jour à l’ambassadeur de Venise Giustiniani, que je désire vivement voir le Turc puissant, non pas pour son propre avantage, car c’est un infidèle et nous sommes chrétiens ; mais pour tenir l’empereur en dépense, le diminuer grâce à un si grand ennemi, et donner plus de sécurité à tous les autres souverains. »

De même, au XIXe siècle, l’Empire en pleine déréliction va trouver des appuis en Europe. C’est ainsi que Disraeli, le premier ministre anglais, va aider l’Empire dans ses négociations au sujet des Balkans et défendre ses intérêts face à la Russie et à la Prusse. C’est qu’il s’agit d’équilibrer les forces et de ne pas laisser l’une ou l’autre des puissances européenne prendre le pas sur les autres. Si l’Empire ottoman se décompose, c’est de l’intérieur. L’Empire devient donc le balancier d’un jeu d’équilibre en Europe.

 (deuxième partie, la semaine prochaine)

 

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« Le Turban et la stambouline »

L’Empire ottoman et l’Europe, XIVè-XXè siècle, affrontement et fascination réciproque

Par Jean-François Solnon

Paris, 2009, éditions Perrin

 

 

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