Le maître des écarts

François Jullien : « L’intelligence aujourd’hui consiste à allier modélisation et maturation »

– Quelle différence y-a-t il  entre l’invisible et le silence ?

– L’ouïe est continue et généraliste, la vue est discontinue et  localisée.

– L’Occident parle de connaissance, pas la Chine. Pourquoi ?

– En Occident c’est l’école qui est supposée apporter la connaissance, alors qu’en Chine, on préférera un lent processus de maturation, fondé sur la connivence. A Deng Xioa Ping à qui on demandait ce qu’il pensait de la Révolution française, il répondait : « Trop récent ! »

– En quoi les écarts entre les cultures ne constituent pas de la « différence » ? 

– La différence arrange, l’écart dérange. L’essentiel est donc d’apprendre à distinguer le commun du semblable. Un critique d’art au XIX° siècle disait que « La peinture de Trouillebert ressemblait à du Corot, mais n’avait rien en commun avec elle ». Le commun, c’est du labeur, du partage, et pas du passif.

– Quelle est la valeur de l’intelligence aujourd’hui ?

– Celle d’associer modélisation et maturation. L’intelligence se doit d’être souple, alerte, vigilante. Elle ne participe pas à la création de confusions supplémentaires, elle croise les ressources. Pas de compromis, pas de tolérance ! Elle n’est jamais finie, elle s’ouvre continuellement.

– A quoi sert un projet d’entreprise ?

– Surtout pas à être appliqué ! Le projet mobilise, il est tendu vers une réussite. Par le seul fait d’exister, il crée un désir, mais pas de l’exécution.

Propos recueillis lors de la conférence de François Jullien donnée le 30 juin à la Maison de la Chine, Paris.

Dernier ouvrage de François Jullien :

« De l’Etre au Vivre », lexique euro-chinois de la pensée.

Ed. NRF Gallimard, Bibliothèque des idées, 2014

Photos : © Nicolas Rousseaux