Séries

Décoder l’entreprise (1) : Architectures apparentes

Posted: 5 juin 2016 à 3:35   /   by   /   comments (0)

Et si… l’on réussissait à voir ce qui ne peut être vu à l’œil nu, à lire ce qui ne peut être lu, à quantifier ce qui ne peut être chiffré !  Suite de notre série de réflexions sur la capacité à décoder les signes visibles et invisibles produits par l’entreprise.

Rassembler le visible et l’invisible

Comment regarder une organisation ? Quelle posture, quelle focale, quelle intensité, quelle profondeur de champ, quel angle ?

Architecture apparente : le chiffrable

Longtemps, le regard porté sur les organisations s’est limité uniquement à ses résultats, sa stratégie, ses discours, ses produits, ses organigrammes, ses contrats, ses collaborateurs, son cours de bourse, ses modes de recrutement, ses rapports annuels, ses bilans sociaux, ses bâtiments, son pdg, ses filiales, ses ratios, son livret d’accueil, son schéma directeur informatique, sa couverture médiatique, son siège social…

Charge aux consultants, auditeurs, analystes, comptables et autres commissaires aux comptes d’apporter leurs interprétations et conclusions martelées par les sceaux d’une vision utilitariste, mesurable, rationnelle, qu’elle vienne de la finance, des systèmes d’information, de la production ou de la distribution. De ratio en règles de trois, les codes qui ont longtemps prévalu à l’efficacité des organisations apparaissent clairs et sans bavures.

Architecture apparente : le culturel

Mais voilà, dans l’architecture apparente d’une organisation se trouvent également d’autres formes de représentation que les pourcentages rigoureux ou les variables d’ajustement… On y entend même parler de rites, de valeurs, de symboles… autant de faits et gestes constituant ce qu’il est convenu d’appeler la « culture d’entreprise ».

D’où vient ce terme, que recouvre-t-il ? Quels ont été les chercheurs à son origine ?

La culture d’entreprise, une découverte récente :

Période

Auteur clef

(ouvrage ou concept  de référence)

Années 60 Edward T. Hall

(La dimension cachée, 1966)

Années 70 Edgar Schein

(Organizational Psychology, 1972)

Années 80 Tom Peters

(Le prix d’excellence, 1982)

Années 90 John Kotter

(Leading change, 1996)

Années 2000 Jim Collins

(Build to last, 2001)

C’est en partant de l’étude approfondie des cultures nationales que la notion de culture d’entreprise a pris progressivement forme.

Edward Hall, anthropologue et philosophe américain, est parmi les premiers à analyser les systèmes de communication interculturels, à partir de ses recherches auprès des tribus indiennes de l’Arizona. Il invente alors les concepts de « dynamique spatiale » puis ensuite de « langage silencieux » ainsi que la technique qui consiste à mesurer littéralement la distance subjective qui entoure chaque individu en interaction avec un autre selon sa nationalité.

En comparant les cultures américaine, britannique, française, arabe, japonaise et allemande, il distingue quatre « auras » distinctives que chaque être humain transporte avec lui. Dans chaque culture nationale, la largeur de ces espaces individuels diffère sensiblement.

Dynamiques spatiales Définition

Le cas américain :

 Largeur à partir du corps

1. L’espace public L’image que nous donnons aux autres gens 3.60 m à l’infini
2. L’espace social Le pouvoir que nous avons sur les autres gens Entre 1.20 et 3.60 m
3. L’espace personnel La profondeur nécessaire à notre isolement Entre 45 cm et 1.25 m
4. l’espace intime La relation que l’on engage avec un autre corps De 0 à 45 cm

 

Grâce aux travaux d’Edward Hall, apparaît ainsi la notion de règle culturelle subtile. Fortement imbriquées dans l’identité d’une nation ou d’une civilisation, ces règles sont entrées progressivement en ligne de compte dans la lecture et le déchiffrage des organisations, à commencer par celle des nations avant de s’appliquer aux entreprises.

Parallèlement aux travaux de Edward Hall, une célèbre sociologue, Ruth Benedict, qui a aussi travaillé pendant la guerre pour le gouvernement américain, a participé à sa manière à cette gestation du management interculturel, en publiant un ouvrage phare : « le chrysanthème et le sabre » (1946).

En 1943, au moment où le destin de la guerre du Pacifique tourne à l’avantage de l’armada américaine, les généraux alliés, comprenant qu’ils ont à faire à « un peuple pas comme les autres » se demandent alors de quelle manière ils peuvent envisager l’occupation de l’archipel. Selon quels scénarios, quels types de collaboration, avec quels enjeux d’intégration ?

En interrogeant les expatriés et prisonniers de guerre japonais, sans avoir jamais mis les pieds au Japon, sans en maîtriser la langue, l’analyse que réalise Ruth Benedict marque les esprits du haut commandement américain, y compris du général MacArthur. La particularité de l’approche de Ruth Benedict a trait à sa posture qui, délibérément, déconstruit d’abord les préjugés et certitudes occidentales sur la culture japonaise pour dans un deuxième temps se mettre en position de décrire les logiques de l’autre culture. L’occupation, raisonnée et respectueuse, du Japon par les Américains, jugement partagé des deux côtés de l’Océan Pacifique, tient sans aucun doute au rôle joué par les travaux de Ruth Benedict.

« L’incompatibilité culturelle » cause n°1 de l’échec des fusions

Dès lors, la tentation est forte de rapprocher cette première orchestration in vivo de la confrontation culturelle des scénarios de fusions/acquisitions contemporains. Nombre des faillites retentissantes parmi les fusions récentes (voir le cas Daimler Chrysler) ont fait réfléchir aux causes de l’échec. Déjà, dès la fin des années 1990, plusieurs études (Mercer 1997, AT Kearney 1997, Bain 1998, KPMG 1999,…) mettaient en exergue « l’incompatibilité culturelle » ou la « différence culturelle » comme causes numéro un de l’échec. Depuis dix ans, pour les sociétés engagées dans ces opérations de « rapprochement » une nouvelle tendance consiste à conduire des audits culturels croisés en amont de leur intégration future, afin d’identifier et de localiser tous les points névralgiques, générateurs potentiels de moins values à terme.

On ne parle plus alors de la seule différence de culture nationale, mais bien de différence de culture d’entreprise… Un virage intellectuel complémentaire à l’approche ethnologique a en effet été pris dans l’immédiat après guerre, toujours aux Etats-Unis, qui va permettre l’application de ces approches aux terrains d’action de la gestion, de l’organisation et de la production.

 

 

Nicolas Rousseaux

 

A suivre :

Episode n°2 – Le mystère des mythes

Comments (0)

write a comment

Comment
Name E-mail Website