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Le grand dessein du Design Thinking
Et si… on clarifiait enfin le concept de Design Thinking. Pensée gadget ou bien innovation historique ? Effet de mode ou révolution managériale ? Le concept a montré le bout de son nez dans les années 80 à l’Université de Stanford. Depuis, le concept reste mal délimité par nature (plusieurs définitions et processus coexistent sur le marché), et les Français (leurs racines cartésiennes) éprouvent encore des difficultés à apprivoiser son raisonnement non-linéaire.
Chronique publiée en exclusivité pour
http://bengs-lab.com/blog/le-grand-dessein-du-design-thinking/
Une formule qui ne dit pas ce qu’elle est vraiment,… pour les Français
Initiation en trois clefs.
Première clef : s’entendre sur le sens des mots.
Stricto sensu, le Design Thinking n’a rien à voir, ni avec le design (artistique ou artisanal), ni avec les modes de pensée (conceptuel et non directement traduisible en actions). Qu’on se le dise !
Croyant bien faire, ceux qui traduisent mot à mot le Design Thinking, accroissent le malentendu : « La pensée design ». Or, en langue anglaise, le design revêt d’abord un tout autre sens que son usage en langue française. Selon le respectable Webster Dictionary, le nom commun « design » recouvre neuf significations, par ordre d’entrée en scène, le dessein, puis… le dessin :
- Un objectif particulier (un planning)
- Un projet mental (un plan)
- Un schéma secret (un complot)
- Une intention agressive ou diabolique (« on design » ou « against design »)
- Un dessin ou une esquisse préliminaire
- Un arrangement sous-jacent (motif relevant du fonctionnement ou du développement)
- Les détails d’une composition dans un produit ou une œuvre artistique
- Un motif décoratif
- L’art d’exécuter des concepts
CQFD. La confusion ne souffre aucune excuse. Le rapport du design avec le raisonnement dépasse, et de loin, en anglais, le rapport du design avec l’art, en français. D’où le lien, plus aisé, des Américains entre design et management. Car c’est bien de cela dont il s’agit.
En résumé, la définition du Design Thinking pourrait donc ressembler à : un processus d’innovation centré autour de l’humain, qui met l’accent sur l’observation, la collaboration, l’apprentissage immédiat, la visualisation des idées, le prototypage rapide, l’analyse de la concurrence.
Son objectif est de mettre autour de la table consommateurs, designers et businessmen afin d’intégrer d’entrée toutes les dimensions d’un produit ou d’un service. Imaginer ses évolutions futures au regard de ses usages sur le marché.
Une logique plurielle, accélératrice, intégrative
Deuxième clef : comprendre le processus dans sa réelle originalité.
L’efficacité du Design Thinking appliquée au quotidien est déterminée par cinq conditions.
Tout d’abord, la compréhension en profondeur des clients, jusqu’à l’expression claire de leurs besoins inarticulés. Regarder, écouter, discuter, comprendre représentent alors autant de comportements de type ethnologiques qui renforcent la prise en compte des points de vue des consommateurs. Il n’est pas rare de voir des sociologues et des anthropologues transposer leurs méthodes dans ce type de processus. Récemment, Lego a eu recours à ces savoir-faire en sciences sociales pour enfin réussir à conquérir le marché mondial des jeunes filles, après huit tentatives infructueuses.
Ensuite, la mise sur pied d’équipes pluridisciplinaires, afin de privilégier des innovations radicales, plutôt que des progrès incrémentaux.
Puis l’accélération généralisée du processus d’innovation par l’expérimentation, la création de prototypes très simples qui favorisent un feedback utile immédiatement, avant d’engager d’autres ressources. Quitte à enchainer échec sur échec. Une technique qui a fait la réputation des studios d’animation Pixar.
Avant dernière étape, l’utilisation d’outils de visualisation qui rendent tangible des idées intangibles. L’usage des images prévalant sur celui des mots.
Enfin, l’évaluation du contexte de concurrence commerciale, l’anticipation des solutions et de leur timing.
Les pionniers du Design Thinking existent aussi en Europe. Décathlon, Kone,…
Troisième clef : différencier industries et entreprises de services
Monsieur Jourdain parlait en prose sans le savoir…Même chose pour Décathlon, qui depuis des années, applique le Design Thinking dans la conception de ses nouveaux produits maison : de la tente qui s’ouvre en deux secondes aux combinaisons ultrafines des surfeuses.
Après des années d’existence, une question, pourtant, reste à l’ordre du jour : l’application du Design Thinking aux services. Blocage ou pas blocage ? Ici, ni graphisme, ni objet, ni forme donnée à une idée. Dans les services, le Design Thinking dépendra moins des bonnes idées que de la compréhension de systèmes plus complexes, liée au management (via le story telling, le story board ou le jeu de rôle, par exemples), tout au long du processus.
En réalité la création de nouveaux services diffère assez peu de l’émergence d’une solution ou d’un dispositif particulier dans l’industrie. Il s’agit dans ce cas de créer l’ensemble des dispositifs (digitaux, humain, ..) jalonnant le service (appelée points de contact) et de les mettre en scène comme dans un film, … Mais les outils de prototypage restent semblables à ceux des industriels.
Dans les deux univers, le processus reste élémentaire… sur le papier. Par exemple, pour une interface numérique métier, la priorité sera de comprendre et intégrer l’organisation qu’elle sert, son code informatique, son organisation, etc.
L’un des grands de l’ascenseur, le finlandais Kone a dédié une équipe sur le thème de la décoration des nacelles. « Kone Deco » est ainsi devenu, grâce au design thinking, un service complet dédié aux clients de la firme. Non seulement la décoration proposée intègre les chartes graphiques de toute entreprise, mais une équipe spécifique peut modifier du jour au lendemain la décoration intérieure ou extérieure des ascenseurs en fonction de l’actualité du client (exemple : l’annonce d’une nouvelle destination par une compagnie aérienne dans les aéroports). L’hybridation service + produit (dont une vraie collaboration avec les spécialistes de la maintenance) allonge le cycle de vie du produit, et les attentes de chaque client sont intégrées chez Kone en amont de leurs demandes.
Nombre de cabinets de conseil et autres consultants en mal de rebonds s’imaginent experts en la matière, avec plus ou moins de succès. Le Design Thinking représente pourtant une véritable compétence transverse, qui ne s’improvise pas.
Quoiqu’il en soit, les passionnés du Design Thinking, d’où qu’ils viennent, ont parfaitement compris que seule la créativité, dans ses formes les plus variées, devient aujourd’hui le moteur n°1 de la croissance économique.
NR
En écho à cette chronique, nos cinq recommandations de lecture :
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